Le Contrat Social - anno IV - n. 6 - novembre 1960

B. SOUV ARINE le Figaro (4, 6 et 9 août 1951) contiennent déjà l'essentiel des thèmes développés de nos jours, sauf celui de la guerre finale inévitable, et Staline tenant alors le rôle dévolu aujourd'hui à Khrouchtchev teinté à présent de nuances polono-yougoslaves. « Quelles sont les relations entre la Chine et l'Union soviétique et les relations personnelles entre Mao et Staline ? La Chine est-elle ou deviendra-t-elle titiste ? Le communisme chinois est-il maintenant le même que le russe ? La Chine communiste est-elle agressive ou pacifique ? » - telles étaient les questions liminaires formulées par The Economist, questions posées bien avant cette date et auxquelles s'efforcent de répondre ces divers articles. * * * OR L'ANALYSE des discours et autres textes publiés à Pékin lors du 3oe anniversaire du Parti (1er juillet 1951) permettait de noter que le nom de Staline n'était jamais mentionné ; que Mao se réclamait de Marx, Engels et Lénine, pas de Staline; que les Chinois s'attribuent implicitement la direction des mouvements révolutionnaires en Asie et dans tous les pays arriérés du monde ; que la Chine est plus « agressive » que la Russie, la première poussant à la révolution armée, de la guérilla aux batailles rangées, la seconde à des grèves, mutineries, sabotages seulement, outre une intense propagande de paix (<< coexistence pacifique») ; que Mao suit le conseil de Lénine de s'allier aux nationalismes des peuples arriérés, singulièrement aux musulmans; que la mesure du temps à Pékin n'est pas celle des capitales occidentales, les communistes ayant mis vingt ans à· conquérir la Chine, ce qui sert de base à leurs calculs. Et The Economist alors de conclure que Mao n'était ni un Tito, ni un satellite, mais un partenaire de Staline à égalité. Quant à devenir rivaux, « sur quels territoires? », l'avenir en déciderait. A Moscou, toujours en 1951, la propagande , affectait un ton protecteur envers le parti communiste chinois, sans mettre Mao en vedette ; « la tactique [en Asie] pouvait être chinoise, mais la stratégie [mondiale] devait rester soviétique », les peuples coloniaux acceptant l'enseignement de «Marx, Engels, Lénine et Staline». Sans entrer dans le détail de ces considérations, on remarque d'emblée ce qui perdure depuis dix ans et il saute aux yeux que le «libéralisme» de Khrouchtchev n'a rien à y voir : son nom est interchangeable avec celui de Staline. Il va de soi que pour Mao, de plus en plus grisé par le « culte de sa personnalité », Khrouchtchev compte encore moins que Staline 3 • 3. Sur le culte de Mao, le témoignage du Times de Londres et l'article si documenté de Richard L. Walker (cf. le dernier numéro du Contrat social) sont confirmés par The Economist du 1er octobre dernier, « The Cult of Mao », article reproduit en français dans la Documentation française (n° 0.1021). BibliotecaGino Bianco 321 D'ores et déjà, il apparaissait évident en 1951 qu'à Pékin et à Moscou, chaque tyrannie se comporte sous l'empire de ses nécessités intérieures : la plèbe laborieuse et les fonctionnaires communistes qui l'encadrent sont dressés à vénérer le chef indigène par-dessus tout. Les observations minutieuses des experts qui accumulent des indices, réels ou supposés, telle absence ou présence à telle cérémonie, telle chaleur ou froideur d'accueil en telle circonstance, etc., ne prouvent rien : Mao croit savoir mieux que personne ce qui convient à son régime, dans l'intérêt aussi de son prestige légendaire ; Khrouchtchev ne peut rien y redire, et vice versa. D'autre part, il est normal que la différence d'âge et de maturité entre les deux États pseudo-communistes se traduise par des attitudes, dans des expressions, d'ailleurs vaines, encore accentuées par une autre différence, celle de la table des valeurs dites «biologiques » ou démographiques. Tant que la Chine dépend de l'Union soviétique pour son industrie et ses armements, «l'agressivité» chinoise ne passe pas des paroles aux actes et ne dépasse pas le stade des incidents de frontières, incluant les îles côtières. Les affaires soviéto-chinoises sont de politique intérieure, répondait en substance un dignitaire soviétique au politicien étranger qui lui posait des questions indiscrètes. Les profanes dissertent de nos jours sur Khrouchtchev et Mao à l'instar de ceux qui, en leur temps, prenaient Staline pour un leader assagi, soucieux de réaliser « le socialisme dans un seul pays», et Trotski pour un extrémiste acharné à propager dans le monde « la révolution permanente». La même ignorance oppose à présent le Chinois belliqueux au Russe pacifique. Si Mao dénonce aussi bruyamment « l'impérialisme» en général et l'impérialisme américain en particulier, s'il menace aussi aisément de recourir à la guerre pour les faire disparaître, c'est qu'il n'a pas les moyens de démontrer sa théorie dans la pratique. Tant que son autorité n'est point reconnue officiellement par les ÉtatsUnis et les Nations Unies, il n'a d'autre ressource en politique extérieure que de les bombarder à coups de rhétorique, quand il se lasse de bombarder en vain Quemoy et Matsu. Rhétorique de maître-chanteur où il mêle confusément, et avec assez de prudence, l'inéluctabilité. des guerres et la coexistence pacifique. Mais que la décision de risquer une guerre ou de conserver la paix revienne à Moscou, non à Pékin, cela ne fait pas l'ombre d'un doute, sauf en Occident pour les « guides de l'opinion publique ». Les sarcasmes chinois à l'adresse du « tigre en papier» (l'impérialisme américain) et des « tigresses en papier» (les bombes atomiques) s'expliquent assez par les tergiversations et les ménagements inexplicables qui ont permis à Mao de chanter victoire après la guerre de Corée, les États-Unis n'ayant pas osé y faire le plein usage de leurs armes sous des prétextes futiles. On

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