QUELQUES LIVRES Le status de l'auteur n'est pas tout à fait le standing du traducteur, terme qui a l'inconvénient d'être emprunté à la langue même de l'original : le status évoquerait plutôt en français le «rang», tandis que le standing, tel qu'il a été transposé dans notre langue, a une portée plus limitée, se rapportant plutôt aux apparences matérielles du rang (grosse voiture, etc.), cette dernière notion comportant aussi une importante note morale (influence, position de commandement). Les analyses concrètes de l'auteur, très fines et très fouillées, montrent que c'est cette notion plus large du rang qui a guidé sa recherche. La traduction qui nous paraîtrait donc la plus exacte pour le titre américain serait : « Le Souci du rang». Mais Les_ Obsédésdu standing, plus simpliste, est peut-être plus efficacement publicitaire en librairie. On sait que Marx pensait qu'en son temps, en raison de la mobilité sociale, de l'émigration, des terres vierges, il n'y avait pas encore de classes . sociales (cristallisées) aux U.S.A. au même titre que dans l'Ancien Monde, constatation tout à fait objective et qui fait honneur à sa probité. Le problème de l'auteur, bien qu'il n'utilise pas cette référence pour le poser, est de savoir si c'est encore vrai. Il y a lieu de penser a priori que sublatis causis, tollitur effectus et que ce ne doit . pas être aussi vrai. Le résultat de l'enquête aboutit à constater que, bien que l'écart des revenus professionnels soit en principe moins grand qu'en URSS malgré les facilités rémanentes de l'ascension sociale, les tendances au nivellement sont freinées au moins pour une cause psychologique : le désir de marquer l'écart du rang qui, non seulement persiste, mais encore se renforce à tous les échelons. · Le genre d'enquête menée par l'auteur est en effet socio-psychologique et ne se limite pas à de froides statistiques (il y en a en fait assez peu). On trouve nombre d'observations prises sur le vif, relatives au comportement de ceux que le traducteur qualifie d' « obsédés ». On peut rapprocher ce travail de l'intéressant essai publié autrefois en France par le philosophe Edmond Goblot sous le titre La Barrière et le niveau et, · à un moindre degré, de celui de Maurice Halbwachs sur La Classeouvrièreet lesniveaux de vie, où s'affirmait la différence entre les analyses conduites d'après le matérialisme historique et celles de l'école sociologique française (durkheimienne ). Plus généralement, se trouve ainsi posée la question de la hiérarchie ou de la stratification sociale correspondant classiquement au problème marxiste des « classes » (que l'auteur ne traite que par prétérition). La principale question théonque, dont Vance Packard n'a cure en tant que telle, est de savoir s'il faut définir les classes en fonction de la hiérarchie des niveaux de consommation ( cf. Halbwachs) ou des rapports de production d'où procèdent les différentes espèces de revenus (rente, profit, salaire : thèse marxiste classique). On peut considérer que le problème Bibl."oteca Gino Bianco 379 posé dans les termes marxistes est largement dépassé : un membre de la upper society ne tire plus nécessairement son revenu privilégié de la rente ou du profit, mais il peut parfaitement se faire qu'il soit juridiquement un salarié public ou privé (général de corps d'armée, directeur d'entreprise, etc.) ou un producteur de services à statut indépendant (grand médecin, grand architecte, etc.). Sans doute peut-il être aussi détenteur d'actions industrielles et commerciales, de rentes foncières, mais c'est souvent à la hauteur de son revenu professionnel qu'il doit d'avoir pu obtenir les moyens de sa fortune. Il ne s'ensuit pas que la notion marxiste d'appartenance à la classe dirigeante ou dominante soit elle-même également dépassée. Vance Packard, qui fait jouer simultanément les deux critères de niveau du revenu et de position dominante dans les relations sociales fondées sur le commandement et l'obéissance, note très judicieusement l'importance croissante de ce qu'on pourrait appeler le mandarinat dans la formation de l'élite sociale, laquelle devient de plus en plus une « élite diplômée». Et le niveau_du revenu familial facilite la poursuite des études supérieures pour les enfants des familles huppées, de telle sorte que ce qu'on pourrait encore appeler la transmission du capital-diplôme remplace de plus en plus le ci-devant héritage, dévoré en grande partie par le fisc. D'autre part, ce qui prouve bien que la hauteur du revenu n'est pas tout, c'est qu'à égalité le cloisonnement et même la hiérarchie subsistent (barrières ethniques, confessionnelles, raciales, etc.). Même aux U.S.A., il n'est pas vrai que l'argent suffise à ouvrir toutes les portes, comme le signalent les observations de l'auteur sur les milieux fermés ou qui tendent à se fermer, notamment à propos de la « forteresse des clubs ». Établissant son tableau (cf. pp. 39-45), l'auteur distingue fondamentalement l' « élite diplômée » et les « classes mercenaires ». A l'intérieur de l'élite diplômée, deux échelons (véritable classe supérieure, classe semi-supérieure), et trois pour les classes mercenaires (classe de la réussite relative, classe ouvrière, classe inférieure). La classe inférieure n~ correspond que de très loin à ce que Marx appelait Lumpenproletariat ( où il rangeait aussi les domestiques) : il s'agit plus généralement des «gueux» (travailleurs occasionnels, semi-clochards, clochards). Il s'ensuit que la classe ouvrière proprement dite, avec ses stratifications bien connues, n'est plus tout au. bas de l'échelle sociale. La classe de la « réussite relative » groupe les employés et les ouvriers supérieurs, deux groupes qui ont à peu près le «même standing », mais dont « le mode de vie diffère» (p. 43, ce qui prouve l'erreur du traducteur). La classe semi-supérieure groupe les petits directeurs privés ou publics. Comme elle appartient déjà à l'élite diplômée, selon la classification, on voit que l'auteur - qui prend soin de le noter - démembre le concept de « classe moyenne»,
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