376 de ceux qui sont gouvernés, administrés, défendus, confessés et jugés. Il est donc absolument contraire à la pensée de Bonald de considérer les corporations de métiers comme des « corps intermédiaires». C'est d'ailleurs parce que les corporations ne sont pas des corps intermédiaires qu'elles ont très peu intéressé Bonald : il parle d'elles par hasard, fugitivement, et n'y revient plus. Notamment il n'y revient plus sous la Restauration. Et pas plus que lui n'y penseront sérieusement, semble-t-il, les autres ultras. Mais alors quelle est cette « doctrine cohérente » des ultras qu'a cru apercevoir M. Oechslin ? Il semble bien qu'elle soit une pure vue de l'esprit. Ou s'il y a un ensemble d'idées qui se retrouve plus ou moins chez un bon nombre d'ultras, il s'agit d'autres idées, et qui n'ont pas retenu notre auteur. Que si d'ailleurs on se demande quel grain de poussière a été le point de départ de cette perle irisée et trompeuse qu'il nomme doctrine des ultras, on est conduit à le chercher dans ces dernières pages du livre où l'on voit - au milieu d'un feu d'artifice d'idées générales (d'idées généralement dénuées de fondement) sur l'évolution des idées au XIXesiècle - l'évangile de Maurras s'épanouir à la cime d'un arbre de Jessé aux branches maîtresses duquel fleurissent Maistre et Bonald, Auguste Comte, La Tour du Pin, Le Play. Admirable méthode qui éclaire les penseurs par ce qui les a suivis, et recueille ensuite des phrases isolées et détournées de leur sens pour justifier une interprétation née de l'illumination plus que de la recherche. La méthode historique ne bâtit pas aussi aisément de brillantes synthèses, mais utilisée avec conscience, elle accroît nos lumières sur un petit coin des choses. Il est à souhaiter que notre faculté de droit mette en garde ses élèves contre les sujets trop vastes et leur enseigne à comprendre chaque phrase dans son contexte, chaque ouvrage dans l'œuvre de son auteur, chaque pensée parmi les pensées de la même époque, chaque opinion dans l'ambiance politique où elle a été formulée. L'histoire des idées politiques est en grande partie à refaire ou à faire, et il est dommage de voir un effort sincère aboutir à de si contestables résultats. YVES LÉVY. Atavisme (?) DMITRIJTscHI'.lEWSKI:J Das heilige Russland. Russische Geistesgeschichte. I. JO. - 17. Jahrhundert. (« La Sainte Russie. Vie spirituelle de la Russie. I. - D1:1xe au xvue siècle»). Hambourg 1959, Rowohlt, 170 pp. PARMIles slavistes actuels, Dmitri Tchijevski est un esprit universel. Son œuvre englobe des travaux d'histoire des littératures russe, ukraiBiblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL nienne, tchèque et slovaque, de littérature comparée, de philosophie et d'histoire de la philosophie, de linguistique. Dans tous ces domaines, ses études constituent un apport original. Le volume qu'il vient de consacrer à la vie spirituelle de la Russie du xe au xvn° siècle le classe comme un grand historien. Contentons-nous ici d'examiner quelques aspects du passé russe qui trouvent leur prolongement aujourd'hui. A cet égard le livre est riche d'enseignements. _ La christianisation de la Russie fut entreprise par Vladimir le Saint à la fin du xe siècle. L'au- · teur note qu'à cette occasion on peut observer pour la première fois l'étrange mutisme du peuple qui devait se manifester de façon si frappante au cours des siècles ultérieurs. L'absence de .. résistance organisée à la nouvelle religion saute aux yeux. D'autant que Tchijevski rejette la théorie de la « double foi » des Russes après la christianisation en constatant que les survivances du paganisme ne furent pas plus fortes en Russie qu'en Occident. Il ne s'agit certes pas d'attribuer cette passivité aux mêmes facteurs qui devaient plus tard déterminer une attitude . analogue ; une explication possible réside dans le fait que, selon toute apparence, le paganisme des Slaves orientaux ne connaissait pas la classe des prêtres, qui aurait pu opposer au christianisme une conception rivale et organiser la résistance. Quoi qu'il en soit, le phénomène semble bien constituer le premier chaînon d'une tradition qui se perpétue dans le comportement du citoyen soviétique. Bien entendu certains événements peuvent être tenus pour des exceptions. Ainsi aux xne et x111e siècles Novgorod et les villes de Galicie refusèrent de se laisser entraîner dans les aventures guerrières, occupation favorite des princes. On pourrait · peut-être ajouter que le déclin de l'économie urbaine, résultat de l'invasion tatare, contribua à transformer des faits isolés en une tradition. Au xvte siècle, le métropolite Danil, apôtre de la patience, s'entendit répondre par le diplomate Fédor Karpov que c'est là vertu de moine et non de sujets, à moins qu'on ne veuille aboutir à un État fondé sur l'oppression du faible par le fort et à une société sans justice ni lois, sans harmonie ni charité. En dépit des contre-courants, l'esprit de soumission et l'isolement de l'individu vis-à-vis de la communauté sapaient en profondeur les forces autonomes de la société. Au temps d'I van le Terrible la vie familiale présente déjà les caractéristiques qui seront celles de l'existence menée par les commerçants, la petite noblesse provinciale et les paysans aisés au x1xesiècle : vie sans amour ni foi, réduite aux obligations économiques et à une observance toute formelle des prescriptions religieuses, toute-puissance du chef de famille, qui ne recule pas devant la violence physique. Tableau analogue à celui des sociétés orientales de· l'antiquité, berceau du despotisme._ . 1
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