• QUELQUES LIVRES .. détermination, de l'inconstance, de la fragilité des êtres historiques que l'on étudie. Au lieu d'aller à la recherche des ultras et de leurs idées, M. Oechslin a visiblement commencé par penser qu'il existait un parti ultra et une doctrine ultra. En dépit de quelques réserves en cours de route, il a conservé cette idée jusqu'au bout. Cela l'a mis en confiance pour les étudier de façon assez désordonnée et très peu historique. Pourtant, dans son chapitre sur « l'organisation politique de l'ultraroyalisme » - le meilleur de l'ouvrage - l'auteur montre fort bien qu'il y a eu des ultras, des groupes parmi les ultras, des tentatives d'organisation, des dissensions parmi les ultras, mais non un parti ultra. Quant à la doctrine des ultras, son existence est bravement affirmée à plusieurs reprises, et l'auteur semble résumer sa pensée là-dessus lorsque, citant Bonald qui voulait mettre «la corporation toujours bonne à la place de l'individu toujours mauvais », il conclut : « Tout en ayant à leur disposition une doctrine cohérente, [les ultras] ont adopté un système politique empirique et n'ont pas eu assez d'imagination pour adapter les collectivités anciennes aux conditions du monde nouveau ou pour intégrer dans leur système les collectivités modernes » (p. 200). L'auteur, on le voit, énonce explicitement que les ultras avaient une doctrine cohérente et laisseentendre que cette doctrine était une manière de corporatisme. Mais cette doctrine cohérente - qu'une inconcevable maladresse aurait empêché de passer dans les faits - est-elle celle du parti ultra ? Non certes, puisqu'il n'y a pas eu, à proprement ·parler; de parti ultra. C'est tout au plus la doctrine de quelques ultras, et plus précisément celle de l'ultra Bonald. Est-il même assuré que ce soit celle de l'ultra Bonald ? On peut en douter. Le texte cité ci-dessus, et dont M. Oechslin ne donne pas la référence, est extrait d'un discours sur !e~ électionsprononcé le 30 décembre 1816 et recuetlh l'année suivante dans Pensées sur divers sujets et discourspolitiques, tome II. Bonald disait d'ailleurs l'individu « souvent mauvais », et non « toujours mauvais » (p. 273), ce qui n'importe guère. Mais que signifie ici « corporation ? » Il ne s'agit nullement des corporations de métiers, desquelles Bonald, au commencement de ce même discours, dans une phrase qui éclaire sa pensée, enregistre fort calmement la disparition : « J'aime les corporations dont la commune est la première et la plus naturelle, et la seule qui ait survécu à la destruction de toutes les autres » (id., p. 233). Sur quoi il cite Montesquieu avec une rar~ malhonnêteté, mais là n'est pas le point. Ce qu~nC?us importe, c'est qu'ici, pour lui, corporation signifie commune (la commune selon Bonald, évidem- -ment, celle dont le plus grand propriétaire est l'administrateur et le représentant naturel) et ne signifie rien de plus. L'ultra Bonald a-t-il jamais songé au rétablissement des corporations ? Il ne le semble pas. Bibli.oteca Gino Bjanco 375 En revanche, le théoricien Bonald, longtemps avant la Restauration, a parlé des corporations. Une première fois en 1796 dans un texte que (p. 40) M. Oechslin cite assez inexactement, et pour lequel il ne donne qu'une référence imprécise. Ce texte se trouve dans la Théorie du pouvoir politique et religieux, s. 1. (Constance), 1796, tome Jer, p. 96. Bonald énonçait le·~p, rincipe suivant : « Indépendance de toutes les professions sociales assurée"p!"ar l'inamovibilité de leurs membres. » Est-ce de ce texte que M. Oechslin déduit (p. 38) que Bonald était hostile à la loi Le Chapelier ? C'est vraisemblable, puisque aucune autre citation ne contient la moindre allusion à la vie professionnelle. Il est donc important de préciser que l'expression « professions sociales » s'applique exclusiveme~t, chez B?nald, . ~ _la profession sacerdotale, a la profession militaire et à la profession judiciaire. En fin de compte, il apparaît que Bonald ne pense nullement aux corporations de métiers, mais au clergé, à la noblesse d'épée et à la noblesse de robe. Toutes les autres professions sont, selon la terminologie de Bonald, des «professions domestiques ». Le problème resterait entier si Bonald, dans le même ouvrage, ne consacrait quelques phrases à ces autres professions, et s'il n'était revenu sur cette question en 1802 dans la Législation primitive, tome III, pp. 45-59. Assez curieusement, on aperçoit dans le premier ouvrage que Bonald s'inspire plus du modèle égyptien (puisé dans Bossuet) que des corporations récemment disparues, et s'attache surtout à l'hérédité obligatoire des professions, bien qu'il accorde qu'elle« révolte peut-être ceux qui ne sont pas accoutumés à réfléchir » (t. I, p. 86). En 1802, s'il parle avec faveur des jurandes ou maîtrises, il n'est pas question de leur accorder quelque indépendance que ce soit. A ses yeux les corporations sont un moyen de substituer des groupes de familles aux individus. Ces groupes encadrent l'individu, et lui imposent« les règlements de l'autorité civile » (p. 46). D'autre part (p. 45), Bonald revient sur l'hérédité nécessaire des professions. Tout cela permet de comprendre la structure du système de Bonald, qui n'est généralement pas aperçue, bien qu'il se soit fort clairement exprimé. Mais sans doute ne prend-on pas la peine de le lire. Lorsque M. Oechslin dit et répète que Bonald a mis en relief l'importance des «corps intermédiaires », il n'a pas tort. Encore convient-il de savoir ce que cette expression signifie. Or Bonald s'est expliqué plusieurs fois sur ce point. Il a distingué le pouvoir, le ministère et le sujet, ces trois termes figurant notamment, en 1800, dans le sous-titre d'un de ses livres. Le second terme désigne les corps intermédiaires, qui sont précisément ceux qu'on a désignés plus haut: c~ergé, noblesse d'épée et de robe. Seuls ces corps intermédiaires ont droit à l'indépendance et à l'enseignement (bien que Bonald ne soit pas indifférent au problème de la « ~irculation des élites »). _Les « professions domestiques » sont celles des suJets,
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