374 comblé cette lacune ? Il s'en faut de beaucoup. Bien qu'il regroupe un bon nombre d'éléments intéressants et donne quelques indications bibliographiques, son ouvrage présente des faiblesses assez graves pour faire douter de son utilité. L'auteur examine, dans une première partie, l'idéologie puis l'organisation. du parti ultraroyaliste. Une deuxième partie concerne « l'action politique du mouvement ultra-royaliste ». Le plan est cependant moins clair qu'il ne paraît d'abord. A vrai dire, retracer la pensée des ultras, puis leur action, ce n'était pas indéfendable : l'auteur eût montré comment la pensée a guidé l'action, ou bien s'est altérée au cours des luttes politiques. La seconde partie, donc, eût été une étude historique menée selon l'ordre chronologique. Malheureusement l'auteur a procédé tout autrement : dans sa seconde partie, il aborde quelques problèmes l'un après l'autre, sans tenir compte de la chronologie, et en s'attachant aux opinions exprimées plutôt qu'aux circonstances politiques. De sorte que le livre se présente avec une première partie où sont rapidement passés en revue les principaux écrivains ultras, et une seconde partie qui semble destinée à compléter la première - à préciser la pensée ultra sur les problèmes les plus importants - à l'aide de discours tirés des Archives parlementaires. Chaque partie offre alors un vice fondamental. Celui de la première, c'est que l'auteur ne connaît guère les écrivains ultras, et il en fait lui-même l'aveu lorsqu'il écrit (à propos de Bonald, c'est-à".'"diredu théoricien le plus important) : «Nous schématisons les fondements de la doctrine, que nous n'avons pas ici à approfondir» (p. 35). En fait, M. Oechslin se borne visiblement à résumer les conclusions des principales monographies. D'où s'ensuit que ce chapitre-là est à peu près inutile, n'étant neuf que par quelques erreurs. Le vice de la seconde partie, c'est que l'auteur est dépourvu de cette familiarité avec l'histoire de la Restauration qui seule lui permettrait de saisir la signification exacte des textes dont il fait état. On notera surtout qu'il n'est pas sensible à l'interaction constante de la pensée et de l'action, et que, limitant strictement ses recherches aux ultras, il est rarement en mesure de distinguer ce qui leur appartient en propre de ce qu'ils ont en commun avec la plupart des gens de leur temps. Il est évidemment facile de relever des inadvertances. Quelques dates fausses peuvent sans doute être comptées au nombre des coquilles dont ce livre est hérissé jusqu'à l'indécence. D'autres sont indubitablement de l'auteur. Il signale par exemple (p. 26, en note) une édition des Considérations sur la France « passée à peu près inaperçue» en 1795. Tout à fait inaperçue, certainen1ent : elle n'a _ jamais existé. Si tel ouvrage de Portalis cité p. 13 . n'a convaincu personne sous le Consulat, c'est qu'il n'a été publié (posthume) qu'en 1820. Il est bizarre de dire (p. 47) que La Vision d'Hébal de Ballanche est dans le style des Paroles d'un croyant, qui ne parurent que trois ans plus tard, ou de Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL donner (p. 102) une opinion de Mme de Montcalm pour celle des royalistes après la seconde Restauration, alors qu'il s'agit des premières lignes de son journal, écrites dans la stupeur du retour de l'île d'Elbe. Il est paradoxal de résumer la pensée de Chateaubriand d'après des textes tirés pour la plupart des Mémoires d'outre-tombe, comme s'il n'avait pas écrit assez de textes politiques avant et pendant la Restauration. On est effaré de lire (p. 38) que Saint-Simon est un disciple de Bonald. On est surpris lorsque (p. 44) l'auteur s'écrie, parlant de La Monarchie selon la Charte de Chateaubriand : « Comment alors distinguer ses idées de celles d'un Royer-Collard et des doctrinaires ? » Comment ? C'est très facile : il suffit de lire ce que le doctrinaire Guizot a, à cette époque, écrit contre la théorie de Vitrolles, " dont Chateaubriand s'est inspiré. Ce même Vitrolles, dit l'auteur (p. 107), a, dans sa brochure Du ministère dans le gouvernement représentatif, défini, «pour la première fois en France, les principes du régime parlementaire ». Ce n'est pas exact, et nous avons précisément, dans le numéro du Contrat social de juillet dernier, montré qu'il avait été précédé par Constant, A. de Laborde, Saint-Simon. (Nous avons d'ailleurs indiqué l'apport spécifique de Vitrolles, que M. Oechslin ne peut évidemment discerner.) De sorte que c'est une erreur de conclure (p. 110) que« les deux livres de Chateaubriand et Vitrollez ont introduit en France des idées très neuves ». Négligeant de tenir compte de l'incidence de la situation politique sur les opinions exprimées, l'auteur est conduit à des appréciations audacieuses. Ainsi, il ne semble pas persuadé que le parlementarisme des ultras, en 1815-16, soit une suite de leur situation majoritaire. Que Chateaubriand soit au fond un libéral, on peut sans doute l'admettre. Mais Vitrolles ? Mais La Bourdonnaie ? Et si à cette même époque les adversaires des ultras ont exalté les pouvoirs constitutionnels du roi, on s'étonne que l'auteur aperçoive là (p. 118) « quelque nostalgie du pouvoir impérial». Cette hypothèse semble parfaitement gratuite, n'étant étayée par aucun fait, par aucune citation. Comme si l'histoire était une science abstraite. Toutes les fautes de l'auteur dérivent en effet d'un vice fondamental, qui est un vice de méthode. On pourrait ne pas s'y arrêter s'il ne s'agissait d'une thèse primée par la faculté et subventionnée par le ministère, et qui peut donc passer pour un modèle de ce qu'on attend de nos futurs universitaires, dans cette discipliné assez nouvelle pour nos facultés de droit qu'est l'histoire des idées politiques. Il semble qu'on ait oublié d'enseigner à l'auteur que l'histoire des idées politiques est, avant tout, de l'histoire. Or pour faire de l'histoire, il faut en premier lieu s'attacher aux faits, avec un sentiment décidé de la · succession et de la concomitance. Et il faut en second lieu se garder d'attribuer aux êtres une essence platonicienne, mais se pencher sur leur existence historique, prendre conscience de l'in-
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