Le Contrat Social - anno IV - n. 6 - novembre 1960

372 L' « appareil » LE LIVRE du professeur Armstrong 1 , résultat d'un sérieux travail d'érudition, tente de dégager les traits essentiels de la « nouvelle classe » en URSS. Grâce à de patientes recherches, en particulier dans les bibliothèques soviétiques où il eut accès à une vingtaine de thèses traitant du problème des cadres, et dans les journaux soviétiques et ukrainiens, qui lui permirent de constituer un fichier sur quelque 2.400 apparatchiki (fonctionnaires du Parti et du gouvernement), il a élaboré une étude phénoménologique de l'apparat ukrainien dans les années· 1938-56. Ses conclusions susciteront l'intérêt de tous ceux qui étudient la stratification sociale en URSS et ses incidences sur la vie politique. Lorsque M. Armstrong emploie le terme apparat, il se réfère autant à la bureaucratie gouvernementale qu'à celle du Parti. Une osmose régulière se produit entre les deux, gouvernement et Parti ne forment qu'une entité unique. En outre, fait-il observer, il existe une sorte de terrain d'entente où s'élabore une réelle communauté ·d'intérêts entre sections correspondantes de la bureaucratie gouvernementale et de celle du Parti (par exemple les services chargés de l'agriculture) alors qu'une certaine tension peut apparaître à l'intérieur d'une même hiérarchie. La vieille querelle entre la section du Parti chargée de la propagande et celle des secrétaires locaux illustre bien ce fait. Les spécialistes de la propagande dirigent les journaux et ont pour mission de rendre publics les faiblesses et les échecs de l'administration locale. Les secrétaires du Parti se vengent d'eux en les employant à des tâches interminables et dégradantes au kolkhoze ou à l'usine. C'est ainsi que l'élite bureaucratique doit être considérée non pas comme une série de hiérarchies rivales (Parti, État, police, etc.) mais comme une série d'entités fondées sur des intérêts locaux et combinant des fractions de toutes les hiérarchies. Le Parti, la police, le gouvernement et les directeurs d'usine dans le bassin du Donetz constituent un groupe d'intérêts très réels bien qu'officieux, dirigé par le premier secrétaire de Rostov. De même les apparatchiki, les bureaucrates et les directeurs d'usine d'Ukraine forment une entité politique influente plus vaste, mais guère mieux définie, dirigée par le premier secrétaire du P.C. ukrainien. L'arrivée de Khrouchtchev au pouvoir · a entraîné celle de l' « appareil » ukrainien sur la scène nationale, et le transfert à Moscou de tout le haut personnel politique de Kiev. Les pratiques politiques qui, de 1938 à 1948, caractérisèrent l'élite· ukrainienne se sont répandues peu à peu à tout le pays. I. John A. Armstrong : The Soviet Bureaucratie Elite : A Case Study of the Ukrainian Apparatus, New York 1959, Frederick A. Praeger. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Les apparatchiki des plus grandes divisions administratives (république et oblast) sont nés au début du siècle. On n'a que fort peu de détails sur leur origine sociale, et ces détails ont toutes les chances de manquer d'objectivité. Mais en général l'impression domine que ces fonctionnaires sont d'une origine sociale assez humble, et plutôt de souche paysanne que prolétarienne. Ils ont adhéré au Parti entre 1920 et 1930, et ils ont obtenu des postes-clés à la suite de la grande purge stalinienne de 1937-38. La plupart d'entre eux, lorsqu'ils acquirent leur situation prééminente, n'avaient pas achevé leurs études secondaires, et seule une petite minorité pouvait se vanter d'avoir reçu un enseignement supérieur, le plus souvent technique. En règle générale, ces diplômés devenaient secrétaires du Parti dans les régions industrielles, tandis que leurs camarades moins instruits étaient nommés dans les régions à prédominance rurale, ce qui ne gênait d'ailleurs nullement leur avancement. La plupart d'entre eux réussirent, entre 1939 et 1949, à acquérir un bagage secondaire dans une école du Parti ·où le programme incluait les sciences sociales et les classiques. Ces hommes doivent tout au Parti. M. Armstrong affirme que le t~mps n'est pas· loin où une éducation secondaire sera nécessaire pour pouvoir adhérer au Parti dont les statuts reconnaîtront alors ouvertement que la stratification de la société soviétique se fonde sur les diplômes. Selon toutes apparences le livre fut écrit avant que Khrouchtchev n'ait manifesté l'intention opposée, c'est-à-dire celle de réduire quelque peu la différentiation des classes, ainsi qu'en témoigne la réforme de l'enseignement et l'importance que le Parti accorde désormais au recrutement des paysans et des ouvriers. Il n'en reste pas moins que bon nombre des jeunes gens qui entrent dans le Parti (aussi bien que dans la bureaucratie gouvernementale) sont plus instruits que leurs aînés installés aux postes de commande. L'auteur a donc toutes raisons de se demander si un ~sprit de compétition et les tensions qui en résultent ne vont pas naître, surtout si la pratique des purges, et par conséquent les occasions de promotion, restent limitées. LE LIVRE deM. Avtorkhanov 2 est d'une tout autre facture : passionné, amer, verbeux, plein de répétitions et,de contradictions. D'origine caucasienne, A. Avtorkhanov a d'abord fréquenté l'Institut des professeurs rouges, puis a travaillé au Bureau de presse du Comité central de 1928 à 1937. Partisan de Boukharine, il fut arrêté en 1937. En 1943 il s'enfuit en Allemagne, où il vit depuis lors. Son livre n'est pas un ouvrage d'érudition, 2. Abdurakhman Avtorkhanov : Stalin and the Soviet Communist Party: A Study in the Technologyof Power. New York 1959; Frederick A. Praeger. .

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