QUELQUES LIVRES parmi des Russes loquaces, au point de le persuader que Moscou est devenu un « moulin à paroles » (p. 14), il est question de l'intervention « brutale et arbitraire » de la police dans les contacts de la population avec les étrangers (p. 27). A quelques pages de distance, une généralité optimiste devient une mise en garde. L'argument fondamental de To Moscow - and Beyond est que Khrouchtchev est un bonhomme pacifique, un libéral qui pourrait être intéressé par un accord à deux sur le partage du monde ; étant donné l'agressivité des communistes chinois, les puissances démocratiques, en premier les États-Unis, feraient bien de consacrer à cette possibilité des « conversations sérieuses » (der- . nière ligne du livre). On apprend que « le plus grand défaut du système soviétique» est l'absence d'une loi de succession (p. 165). L'URSS de M. Salisbury n'est pas un pays qui poursuit un effort permanent pour étendre son empire au res~e de la pl~ète. C'est un pays où des hommes qui sont un ~ll:ri_eux mélange de pâtres terre à terre et de pohtic1ens américains poussent sans ménagement dans le xxe siècle des bureaucrates arriérés, pendant que les diplomates du Département d'État tâtonnent sans parvenir à se lier d'amitié avec ces êtres frustes mais sympathiques. A LA DIFFÉRENCE de M. Salisbury, M. Crankshaw 3 ne prétend pas que voir soit la vertu cardinale. Il décrit, du mieux qu'il peut, les développements de la situation en URSS s~n~sIqirou~htchev. Il cherche à dépasser l'opposition s1mphste « dégel » contre « gel » et il est conscient de la complexité des problèmes. Il retrace la . l_utte entre les héritiers de Staline, analyse la politique et les méthodes de Khrouchtchev, évalue la portée du « ~ra~d dégel », nota~~ent,. en ce qui concerne la htterature. Pour finir, il s interroge : « Quel est le sens de tout cela ~ » En appendic~, le texte de la lettre de la rédaction de Novy Mir refusant à Pasternak le manuscrit du Docteur Jivago. Crankshaw commet quelques lapsus : il donne des indications contradictoires à quelques pages de distance ; il attribue à Lénine le m?t d'ordre « Ni guerre ni paix» lancé par Trotski (p. 17)_; il donne à tort le nom de Lénine à l'Académie industrielle Staline .que fréquenta Khrouèhtc~ev (p. 51) ; chose surprenante, il affirme que le principal rapporteur au XIXe Congrès était Khrouchtc~ev, alors que ce fut Malenkov (p. 35). S,ur,les points fondamentaux, on peut_ \'ourtant_ generalement se fier à lui. Sur la pohttque agricole, les sovnarkhozes et le « dégel » par exemple, ses 3. Edward Crankshaw : Khrushchev's Russia, Baltimore 1959, Penguin Books. Bibli.oteca Gino Biànco 371 commentaires sont clairs et convaincants. A la différence de M. Salisbury, il n'exclut pas que Khrouchtchev rétablisse la terreur ; il ne prétend pas imprudemment que Khrouchtchev est populaire ; et il est Sfil].S illusions sur le « dépérissement ,> imminent de l'Etat policier et du Parti. Néanmoins, dans l'ensemble, son interprétation n'est pas à l'abri des critiques. Les défauts de Khrushchev' s Russia ont déjà été soulignés à propos de précédents écrits de l'auteur. Comme il le reconnaît lui-même, M. Crankshaw a été mis en cause pour avoir « refusé de reconnaître à l'idéologie marxiste-léniniste le premier rôle dans la société soviétique » (p. 140) ; pour lui l'idéologie n'est qu'un « fourre-tout doctrinal ». Il qualifie le système soviétique de moyen « douloureux, brutal et générateur de gaspillage », mais « fait pour les Russes », pour « projeter en plein :xxe siècle un pays agraire extrêmement arriéré», formule qui démontre que M. Crankshaw lui-même ne répugne pas à plonger dans le « fourre-tout doctrinal». L'auteur oppose la Russie rurale, survivance des anciens temps, à la Russie urbaine de Staline. Il voit dans les types ruraux dégradés une offense permanente au patriotisme, caractéristique majeure des dirigeants communistes et de ceux qui s'en prennent aux méthodes tout en souscrivant aux fins. De plus, il prétend que « la plupart des Russes, malgré les démentis passionnés des réfugiés et des " transfuges ", ont une nostalgie profonde du petit père sévère et inaccessible » (p. 70). M. Crankshaw rejoint par là l'école qui voit dans le communisme le triste destin de la Russie, et qui justifie le stalinisme en dépit ou peut-être même à cause de sa cruauté. Heureusement, les trois quarts du livre de M. Crankshaw peuvent être utilisés avec profit par ceux qui refusent de prêter au peuple russe la «nostalgie » d'un système qui lui fut imposé par la force et qui n'acceptent pas de voir la Russie écartée de la voie qu'elle suivait vers une société pluraliste. Au sujet des affaires étrangères, M. Crankshaw s'en prend à la «stupidité» de l'Occident, qui tiendrait au fait que personne ne s'est avisé que le Kremlin ne peut pas vraiment tenir le monde entier sous sa botte (p. 145). On se demande si, pour les mêmes raisons, il aurait conseillé de céder à Gengis Khan, à Hitler ou aux militaires japonais. Il est conscient des progrès du communisme dans divers pays d' ~sie, d'Afrique et d'Amérique latine. « Communiste, dit-il, est un mot presque dénué de sens » ; en d'autres termes., il est possible que tous ces pays veuillent eux aussi accéder au xxe siècle. Ne connaissant pas la Chine, il a le bon goût de n'en pas parler, exemple que d'autres devraient imiter. D. W. TREADGOLD. ( Traduit de l'anglais)
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==