Le Contrat Social - anno IV - n. 6 - novembre 1960

L. SCHAPIRO : le Parti. L'idée que les tribunaux pourraient fonctionner en assurant la sauvegarde de l'individu contre une action arbitraire approuvée par le Parti ne joue pas le moindre rôle dans la théorie du droit soviétique et n'a même jamais été discutée sous cette forme. Selon un ouvrage récent qui fait autorité, l'indépendance des juges et leur seule subordination à la loi, qui sont proclamées dans la Constitution (et réaffirmées dans les dernières lois),,« ne signifient pas qu'ils sont indépendants de l'Etat ou de la politique du Parti et du gouvernement, puisque le tribunal est un organe du pouvoir et que son activité constitue . un des aspects du pouvoir d'État» 4 • La politique du Parti est théoriquement le reflet de la volonté générale, et l'idée qu'un individu pourrait avoir besoin d'être protégé contre cette volonté dont il est partie est aussi inadmissible dans la discussion théorique en Union soviétique qu'elle paraissait absurde à Rousseau. Malgré cela, certains légistes éclairés ont essayé de ménager des sauvegardes qui pourraient contrecarrer quelque peu dans l'avenir l'arbitraire envers les tribunaux, si fréquent jusqu'ici. D. Rakhounov a ainsi proposé que le nombre des assesseurs du peuple qui siègent à côté du juge soit porté de deux à six, qu'ils délibèrent séparément et qu'ils deviennent les seuls juges du fait, ce qui revenait à préconiser un système de jury 5 • D'autres, parmi lesquels le professeur M. M. Strogovitch, ont demandé que la victime de traitements contraires à la loi ait le droit de réclamer des dommages-intérêts. (Ces deux garanties ont joué un grand rôle dans l'histoire du droit anglais en protégeant la liberté de l'individu contre l'arbitraire de l'exécutif.) Aucune place n'a été faite à ces mesures dans les nouvelles lois soviétiques. * • • PLUSIEURMS ODIFICATIONinStroduites dans la procédure sont une espèce de compromis destiné à apaiser les appréhensions des juristes les plus éclairés. Ainsi de l'aveu, dont on a beaucoup abusé dans le passé (pour Vychinski, l'aveu était « la reine des preuves ») : quelques auteurs, parmi lesquels nous retrouvons le professeur Strogovitch, voulaient une règle qui n'admette pas l'aveu, à moins qu'il ne fût corroboré par d'autres preuves. On n'est pas allé jusque-là, mais la «reine » a cependant été détrônée : la nouvelle loi stipule qu'aucune preuve particulière ne doit avoir plus de poids que les autres. Autre concession : c'est désormais à l'accusation qu'il incombe de faire la preuve de la culpabilité. La nouvelle loi ne va cependant pas jusqu'à ad4. Cf. M. V. Kojevnikov : Histoire de la justice S()'l!iefti9ue de 1917 d 1956, 28 éd., Moscou I9$7, p. 277, $· l•TJ11tia, 27 mars 1957, Biblioteca Gino Bianco 367 mettre, comme certains le voulaient, la « présomption d'innocence». En ce qui concerne la procédure du tribunal, le fait que la preuve doit être administrée par l'accusation équivaut à reconnaître de facto la présomption d'innocence. Mais l'insistance de certains auteurs à voir reconnaître cette présomption sous la forme d'une déclaration solennelle était probablement dictée par le désir non seulement de voir réformer la procédure de fait au tribunal mais aussi par celui d'améliorer le comportement général : il s'agissait de mettre un terme à cette pratique qui consiste, dès qu'un homme est arrêté, à le voir traité en coupable dans la presse, expulsé du Parti s'il en est membre, tout cela avant même d'être entendu par le tribunal et d'avoir eu la moindre occasion de se défendre. (Le cas est naturellement fréquent pour les hommes politiques qui tombent en disgrâce.) Les partisans d'une déclaration sans ambages de «présomption d'innocence » ont dû aussi penser aux « résolutions de masse » qui réclament un châtiment exemplaire pour les « traîtres » longtemps avant l'ouverture du procès, odieuse pratique si courante pendant les années 30. * • • LE SECONDGROUPEde modifications de procédure consiste en des mesures de garantie pour le prévenu pendant l'instruction, avant que l'inculpation soit notifiée ou que le non-lieu soit accordé, faute de preuves suffisantes. Sur le papier, ces garanties sont rigoureuses. Les pouvoirs qui permettent de détenir un suspect et de le maintenir en état d'arrestation sont limités ; aucune menace ne doit être exercée pour arracher des aveux; la correspondance ne peut être retenue que dans des cas spécifiés ; le prévenu a toute latitude pour porter plainte. La responsabilité générale pour l'observation de ces prescriptions incombe aux procurateurs, qui doivent faire observer la loi aussi bien que réprimer les délits, protéger l'accusé aussi bien que traquer les malfaiteurs. Mais aucune de ces garanties n'est nouvelle dans le fond : si les détails le sont, les dispositions se trouvent déjà dans les codes de procédure pénale des républiq1:1esp, armi lesquels le principal, celui de la R.S.F.S.R., date de 1923. En 1922, les pro~urateurs furent enjoints de veiller à ce que l'instruction, qu'elle soit menée par des juges réguliers ou par des officiersdu service de sécurité, se déroule suivant les règles prescrites par la loi. Tout cela n'empêcha pas que la loi fut violée de façon flagrante pendant de nombreuses années, quand la politique du Parti l'exigeait. Pour lutter contre cet état de choses, le statut concernant les fonctions des procurateurs promulgué le 24 mai 1955 définit leur devoir de surveillance avec beaucoup plus de détails qu'auparavant; il semble que les procurateurs soient maintenant souvent les champions les plus zélés d'un respect plus grandde 1~ lé~alité, A çonctition que le Parti

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