Le Contrat Social - anno IV - n. 6 - novembre 1960

LA RÉFORME JUDICIAIRE EN U.R.S.S. par Leon~rd Schapiro DEPUIS près d'un quart de siècle, on a discuté à plusieurs reprises en Union soviétique de la réforme du droit pénal, pour finalement la remettre à plus tard. La question se posa en 1935 avec la publication du projet de la nouvelle ~nstitution, dont l'article 14 stipulait que le droit pénal et la procédure pénale étaient aff~re fédérale. Jusque-là, la législation pénale avait été du ressort des différentes républiques, dont les codes, publiés pour la première fois en 192~-23, étaient (et sont encore) la source du droit en matière pénale. Le besoin se faisait sentir de codes pour toute l'Union, mais la tent~tive qui fut faite resta lettre morte. Le principal auteur du nouveau projet de code pénal, E. B. Pachoukanis, alors commissaire du peuple adjoint à la Justice, se trouvait en 1936 à la tête de la section juridique de l'Académie communiste et était le théoricien du droit de loin le plus é~ent et le plus influent. Comme beaucoup ? mtellectuels, au nombre desquels Boukharine, t1 avait vu dans la nouvelle Constitution le signe avant-coureur d'un retour à la normale et d'une réconciliation générale après les années terribles du premier plan quinquennal et de la collectivisation. (Boukharine et d'autres opposants de marque faisaient partie de la commission chargée de rédiger la Constitution.) A cet espoir des « intel- . lectuels droitiers », Staline répondit par la purge de Iéjov de 1936-38, et l'un de ses principaux agents d'exécution fut Vychinski. Pachoukanis disparut au début de 1937 et fut probablement exécuté. Quoiqu'il ait été accusé officiellement d'avoir préconisé le dépérissement de l'État, la véritable raison de sa chute semble être tout autre. A une réunion de la section juridique de l'Académie dans les premiers mois de 1937, il fut violemment pris à partie pour les dispositions trop bénignes et humaines de son projet de code pénal (qui ne fut jamais publié). A cette séance, plusieurs lumières juridiques, parmi lesquelles quelques-uns de ceux qui réclament aujourd'hui avec le plus d'insistance la réforme du droit pénal, eurent l'occasion de dénoncer Pachoukanis avec Biblioteca Gino Bianco plus ou moins de servilité 1 • L'Académie fut supprimée et nombre de ses membres les plus e1;1 vue peu après liquidés. En qualité de directeur du nouvel institut juridique de l'Acadé~e des sciences, yy~hinski devint l'interprète officiel de toute la theorie du droit. Pour comprendre l'histoire ultérieure de la r,éfor1'!1edu ~roit pénal, il faut à voir présent à 1 esprit ces faits et les souvenirs amers et humi- ~iants qui s'y rattachent. Il n'y eut aucun progrès Jusqu'à la mort 1e Staline (mentio~ons cependant quelques tentatives sans lendemam de rédaction ~:un nouv~au code en 1938 et en septembre 1952, l 1ntervent1on de Poskrébychev au XIXe congrès du Parti, qui reprocha aux juristes de ne pas avoi~ ré~~é ,de n?uveaux co~es).. Cependant, la necess1te dune reforme conttnuait de susciter ~~ discussion prudente. dans les revues spéciahsees. La mort de Staline modifia la situation du jour a~ lendemain. L'amn!stie du 27 mars 1953 promettait des codes de droit pénal et de procédure p~nale moins sévères ; sans doute pour les besoins de la propagande, le ministère de la J~stice fut _c~argéde présenter des projets au conseil des m1mstres dans le délai d'un mois. Tout c~la n~turellement n'eut pas. de suite, mais la dis~uss10!1de la réform~ dans les périodiques allait ~am!enant bon train _ets~ caractérisait par une hberte et une franchise inconnues depuis longtemps. La mort de Vychinski, qui n'avait pas cessé de régner sur la science juridique et la réhabilitation de la personne de Pachouk~s (mais non de ses théories) à la fin de 1956 stimulèrent la discussion qui, contrairement à d'autres domaines de l'activité intellectuelle, ne semble pas avoir été affectée par les événements de Hongrie. Il est probablement exact, ainsi que l'ont souvent affirmé des fonctionnaires judiciaires, 1. Cf. la Lqalit, socialiste, 1937, n° 10-11, pp. 10-17.

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