L'expérience communiste LA GUERRE DANS LE ROMAN SOVIÉTIQUE par S. Lochtin LES THÈMES de guerre furent évités en Union soviétique r pendant les quinze années qui suivirent la deuxième guerre mondiale : le climat général de l'époque rendait tabous certains problèmes. Bien qu'ils aient mené cette guerre à une conclusion heureuse, les dirigeants la considéraient comme un sujet dangereux, plein d'idées explosives et peu fait pour mettre en valeur la cause du communisme. La victoire avait été payée très cher. Le prestige du gouvernement communiste avait souffert de l'impréparation du pays surpris par l'invasion ; la légende de l'invincibilité de l'Armée rouge des -ouvriers et des paysans avait été détruite par dixhuit mois de défaite presque ininterrompue, le mythe du loyalisme de chaque travailleur soviétique envers 1e Parti avait été sapé par des désertions en masse et par l'apparition sur le_front d'une armée antisoviétique formée de citoyens soviétiques. En de telles circonstances il devenait politiquement inopportun d'écrire sur la guerre ; l'atmosphère d'après guerre ne se prêtait pas à la recherche historique et littéraire du climat psychologique du moment; et la guerre froide qui fit tomber un rideau de silence sur l'aide alliée compliqua encore les choses. L'écrivain soviétique en veine d'un roman de guerre se trouvait donc handicapé de toutes parts. Il lui fallait éviter les écueils de la politique du jour tout en présentant au lecteur une leçon politique conforme aux canons du Parti. Il _devait prouver que la victoire avait été acquise grâce à la sage direction du Parti et à la volonté de fer de Staline, au loyalisme absolu du peuple envers l'idéologie communiste, le Parti et la personne de Staline. Ce travestissement de la vérité historique fut pour beaucoup une pierre d'achoppement. S'il était difficile de toucher le lecteur, il l'était encore plus de satisfaire le Parti, qui donnait de la guerre une image toujours changeante. Biblioteca Gino Bianco . Entre 1941 et 1950 le point de vue officiel avait beaucoup varié. Au début, la guerre était menée « contre la ruée de l'envahisseur nazi». Un peu plus tard, ce fut « une lutte des Russes contre l'attaque des Allemands nazis». Les termes « le peuple russe » et même « la nation russe » supplantaient l'expression « le peuple soviétique »· Mais après la victoire, les communistes allemands furent gratifiés d'une république et toutes les références à un antagonisme germano-russe disparurent : l'expression « l'invasion nazie » fut réhabilitée. Tout cela peut paraître sans importance au lecteur occidental, mais l' écrivain soviétique, lui, ne le prenait pas et ne pouvait le prendre à la légère. Il lui fallait réviser chaque nouvelle édition de ses œuvres et l'adapter à la « ligne » du moment. Aussi n'est-il pas étonnant que les romanciers soviétiques les plus connus n'aient pu faire quoi que ce soit de remarquable. Michel Cholokhov, l'auteur du Don paisible, n'a pas pu écrire un bon livre sur la guerre. C'est en 1943 qu'il composa Ils ont combattu pour la patrie 1 , histoire assez naïve et plate qui se déroule pendant la retraite de 1942 derrière le Don, juste avant la bataille de Stalingrad. DANS CE LIVRE, un régiment d'infanterie soviétique réduit à cent dix-sept hommes fait retraite vers l'Est après de nombreux· combats. Ayant pour mission de tenir une position de défense aux approches d'un hameau sur le Don, le régiment résiste quelque temps et repousse des attaques de blindés et d'infanterie. Les soldats sont épuisés, ils n'ont pas de canons antichar, seulement des fusils antichar, des mitrailleuses et des fusils à répétition. Malgré cela, ils détruisent
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