Le Contrat Social - anno IV - n. 6 - novembre 1960

352 2. Quoi que nous fassions pour allonger le laps de temps qui sépare le phénomène que nous examinons du jugement porté sur lui, ce laps de temps sera limité alors que le temps lui-même est illimité ; donc à cet égard encore il ne peut jamais y avoir de nécessité absolue. 3. Quelle que soit notre connaissance de l'enchaînement des causes d'un acte, nous ne connaîtrons jamais cet;enchaînement tout entier, car il est infini, et une fois encore nous n'aboutirons pas à la nécessité absolue. Mais en outre, même si, en admettant un résidu de liberté égal à zéro, nous constations dans un cas quelconque, comme par exemple dans celui d'un moribond, d'un embryon, d'un idiot, l'absence totale de liberté, nous détruirions par là la notion même de l'homme que nous considérons ; car dès l'instant où il n'y a pas de liberté, il n'y a pas d'homme non plus. C'est pourquoi se représenter un acte humain soumis à la seule loi de la nécessité, sans le moindre résidu de liberté, est aussi impossible que de se le représenter absolument libre. Ainsi, pour nous représenter un acte humain soumis à la seule loi de la nécessité, sans liberté, nous devons admettre que nous connaissons la quantité infinie des conditions dans l'espace, la période de temps infinie et la série infinie des cr uses. Afin de nous représenter l'homme absolument libre, libéré de la loi de la nécessité, nous devons nous le représenter seul, hors de l'espace, du temps et de la causalité. ~ · ·Dans le premier cas, si la nécessité était possible sans la liberté, nous aboutirions à une définition de la loi de la nécessité par la nécessité même, c'est-à-dire à une forme sans contenu. Dans le second cas, si la liberté était possible sans la nécessité, nous aboutirions à une liberté inconditionnée, hors de l'espace, du temps et de la causalité, liberté qui, par le fait même de n'être conditionnée ou limitée par rien, ne serait rien ou ne serait qu'un contenu sans contenant. Nous aboutirions d'une façon générale à ces deux principes qui forment toute la conception humaine du monde : l'essence inconnaissable de la vie et les lois qui définissent cette essence. La raison dit: 1. L'espace avec toutes les formes -que lui donne son apparence - la matière - est infini et inconcevable autrement. 2. Le temps est un mouvement infini sans un instant d'arrêt et il est inconcevable autrement. 3. L'enchaînement des causes et des effets n'a pas de commencement et ne peut avoir de fin. La conscience dit : 1. Seule j'existe et rien n'existe en dehors de moi, donc je renferme l'espace. 2. Je mesure le temps qui fuit par un moment immobile du présent dans· lequel j'ai conscience de vivre; donc je suis hors du temps. Biblioteca Gino Bianco • ANNIVERSAIRES t 3. Je suis hors de toute cause car je ·me sens la cause de toutes les manifestations de ma vie. La raison exprime les lois de la nécessité. La conscience exprime l'essence de la liberté. La liberté que rien ne limite est l'essence de la vie dans la conscience de l'homme. La nécessité sans contenu est la raison humaine sous ses trois formes. La liberté est ce que .,on examine. La nécessité est ce qui examine. La liberté est le contenu. La nécessité est le contenant. C'est seulement en séparant les deux sources de la connaissance qui sont l'une à l'autre ce que le contenant est au contenu que l'on arrive à des notions séparées, qui s'excluent mutuellement et demeurent inconcevables, sur la liberté et la nécessité. C'est seulement en les réunissant que l'on arrive à une représentation de la vie de l'homme. Hors ces deux notions qui se définissent mutuellement dans leur union - comme le contenant et le contenu, - aucune représentation de la vie n'est possible. Tout ce que nous savons d'elle n'est qu'un certain rapport entre la liberté et la nécessité, c'est-à-dire entre la conscience et les lois de la . raison. Tout ce que nous savons du monde extérieur de la nature n'est qu'un certain rapport entre les forces de la nature et la nécessité, ou entre l'essence de la vie et les lois de la raison. Les forces vitales de la nature sont en dehors de nous et de notre conscience, et nous les appelons pesanteur, inertie, électricité, force animale, etc. ; mais nous avons conscience de la force vitale de l'homme et nous l'appelons liberté. La force de la pesanteur, incompréhensible en soi, ressentie par tout homme, ne nous est compréhensible que dans la mesure où nous connaissons les lois de la nécessité auxquelles elle est soumise (depuis la première notion de pesanteur de tous les corps jusqu'à la loi de Newton). De même la force de la liberté, incompréhensible en soi, ressentie par chacun, ne nous est intelligible que dans la mesure où nous connaissons les lois de la nécessité auxquelles - elle est soumise (depuis le fait que tout homme meurt jusqu'aux lois économiques ou historiques les plus complexes). Toute ,connaissance n'est qu'adaptation de l'essenc_ede la vie aux lois ·de la raison. La liberté de l'homme se distingue de toutes les autres forces en ce que l'homme a conscience de cette force ; mais pour la raison, elle n'est en rien différente d'aucune autre force. Les forces · de la pesanteur, de l'électricité ou de l'affinité chimique ne se distinguent entre elles qu'en ce qu'elles sont différemment définies par la raison. De même, la force de la liberté humaine ne se distingue, pour la raison, des autres forces de la nature que par la définition que lui donne cette .

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