350 moins libre que le mariage de l'homme d'aujourd'hui. De même, la vie et l'activité des hommes des siècles passés, liés à moi dans le temps, ne peuvent m'apparaître aussi libres que la vie de mes contemporains dont les conséquences me sont encore inconnues. La part plus ou moins grande de liberté et de nécessité est fonction à cet égard du plus ou moins grand laps de temps écoulé entre l'accomplissement de l'acte et le jugement porté sur lui. Si j'examine un acte que je viens d'accomplir il y a un instant, dans des conditions à peu près identiques à celles où je me trouve à présent, mon acte m'apparaît incontestablement libre. Mais si je juge un acte que j'ai accompli un mois plus tôt, me trouvant dans d'autres conditions, je reconnais malgré moi que s'il n'avait pas été accompli, bien des choses utiles, agréables et même nécessaires qui en sont découlées n'auraient pas eu lieu. Si je me reporte par le souvenir à un acte encore plus éloigné, remontant à dix ans et plus, ses conséquences m'apparaîtront encore plus évidentes ; et il me sera difficile de me représenter ce qui serait arrivé s'il n'avait pas eu lieu. Plus loin je me transporterai en arrière par le souvenir ou, ce qui revient au même, en avant par le jugement, plus l'appréciation de la liberté de mon acte sera douteuse. Nous trouvons dans l'histoire exactement la même progression de notre croyance à la participation du libre arbitre aux affaires humaines. Un événement qui vient de s'accomplir nous apparaît indiscutablement comme l'œuvre de tels personnages bien définis ; mais dans un événement plus lointain nous voyons déjà ses conséquences inévitables, en dehors desquelles nous ne pouvons rien nous représenter d'autre. Et plus nous nous reportons en arrière dans l'examen des événements, moins ils nous apparaissent arbitraires. La guerre austro-prussienne nous apparaît sans conteste comme le résultat des ruses de Bismarck, etc. Les guerres napoléoniennes, bien qu'avec un certain doute déjà, nous apparaissent encore comme dues à la volonté de quelques héros ; mais dans les Croisades nous voyons vraiment un événement qui occupe une place définie et sans lequel l'histoire moderne de l'Europe serait dénuée de sens; pourtant, les chroniqueurs n'y ont vu que l'effet de la volonté de quelques-uns. Et si nous en venons aux grandes invasions, personne aujourd'hui ne croira que le -renouvellement du monde ait jamais dépendu de la fantaisie d'Attila. Plus nous reportons en arrière dans l'histoire le sujet de l'observation, plus douteuse devient la liberté des hommes générateurs des événements, et plus évidente la loi de la nécessité. Troisième base d'examen : la facilité plus ou moins grande que nous avons de saisir l'enchaînement infini des causes, qui est l'exigence inévitable de la raison et où chaque phénomène que nous comprenons, et partant chaque acte de Biblioteca Gino Bianco ANNIVERSAIRES l'homme, doit avoir sa place déterminée comme conséquence de ceux qui le précèdent et cause de ceux qui le suivent. Il en ressort que nos actes et ceux d'autrui nous apparaissent, d'une part, d'autant plus libres et moins soumis à la nécessité que nous connaissons mieux les lois physiologiques, psychologiques et historiques déduites de l'observation auxquelles l'homme est soumis et que nous avons plus sûrement pénétré ·1a cause physiologique, psychologique ou historique d'un acte ; d'autre part, plus l'acte observé est simple, moins complexes nous apparaissent le caractère et l'esprit de l'homme que nous considérons. Lorsque nous ne comprenons pas la cause d'un acte, qu'il s'agisse d'un crime, d'une bonne action ou même d'un acte indifférent par rapport au bien et au mal, nous reconnaissons dans cet acte la plus grande part de liberté. S'il s'agit d'un crime, nous réclamons avant tout la punition ; s'il s'agit d'une bonne action, nous l'apprécions. Dans un cas indifférent, nous reconnaissons la personnalité, l'originalité, la liberté les plus grandes. Mais si une seule des innombrables causes nous est connue, nous reconnaissons déjà une certaine part de nécessité, nous sommes disposés à plus de clémence pour le crime, nous reconnaissons moins de mérite dans l'acte vertueux, moins de liberté dans l'acte qui nous paraissait original. Le fait qu'un criminel a grandi dans un milieu de malfaiteurs atténue déjà sa culpabilité. L'abnégation d'un père, d'une mère, abnégation qui comporte la possibilité d'une récompense, est plus compréhensible que l'abnégation gratuite et par conséquent nous paraît moins mériter la sympathie, être moins libre. Le fondateur d'une secte, d'un parti, un inventeur nous étonnent moins quand nous savons comment et par quoi leur activité a été préparée. Si nous disposons d'une longue série d'expériences, si notre observation est constamment orientée vers la recherche des rapports entre les causes et les effets, les actions nous apparaissent d'autant plus nécessaires et d'autant moins libres que nous rattachons plus sûrement les effets aux causes. Si les faits considérés sont simples et si nous disposons p_ou! ~es o~~e:"er d'une énorme quantité de faits s1mtla1res1, 1deeque nous nous faisons de leur nécessité sera encore plus complète. La malhonnêteté du fils d'un père malhonnête, la mauvaise conduite d'une femme tombée dans un mauvais milieu, le retour d'un ivrogne à la boisson sont des actes qui nous paraissent d'autant moins libres que nous en comprenons mieux la cause. Si l'homme dont nous examinons les actes se trouve lui:..même au plus bas degré du développement de l'intelligence, . tel qu'un enfant, un fou, un simple d'esprit, alors, sachant les causes de ses actes et l'état fruste de so~ caractère et de son esprit, nous v~y~ns ~ne s1~and~ part de nécessité et une part s1 ;edwte de liberte que, sitôt connu le mobile qui le pousse, nous pouvons prédire l'acte qui en $Cra la conséquence.
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