M. COLLINBT et la possession ne soient point divisés» 6 • C'est pourquoi, dans la parabole qui lui valut des poursuites judiciaires, il oppose l'élite des producteurs et des savants aux fonctionnaires, militaires, courtisans, princes et autres « parasites » dont la disparition lui paraît sans importance, sinon profitable au progrès de la société 6 • Contrairement à ses disciples qui en réclameront la supf, ression, Saint-Simon n'est nullement hostile à héritage, pourvu que celui-ci favorise l'union du talent et de la propriété 7 • Aujourd'hui, la dichotomie marxiste est insuffisante pour une description réaliste des structures sociales : le concept de classe doit s'appuyer sur plusieurs critères indépendants, comme le niveau des revenus, leur nature économique, le genre d'activité et le genre de vie. Mais quels que soient le nombre et la qualité de ces critères, ils supposent tous que l'idée de classe est liée à celle de stratification sociale : elle implique qu'à l'intérieur d'une même classe existe une égalité relative des conditions de vie d'où procèdent le rang social, le prestige qu'on lui attribue et en définitive la conscience que cette classe a d'elle-même. Chez Saint-Simon la classe est avant toute autre considération un groupe fonctionnel, produit de circonstances historiques déterminées. Une même classe peut être utile ou néfaste à la marche de la société, suivant les époques et la manière dont elle exerce sa fonction. Cette notion est directement issue des trois ordres médiévaux : clergé, noblesse, bourgeoisie, qui nous apparaissent maintenant comme les héritiers des trois castes de la société indo-européenne primitive. Chaque classe suppose un type commun d'activité, avec _lerituel qui lui est propre et les interdits qui la protègent et l'isolent. Le clergé et la noblesse, assumant les fonctions sacerdotale et militaire, forment le fondement de la société théologique et féodale. La bourgeoisie communale, parce qu'elle se situe à la fois dans et hors la société, en est par son activité et ses aspirations intellectuelles le virus désagrégeant; elle est par essence la classeproductrice, l'origine de ce que Saint-Simon nomme dans les temps modernes la classe industrielle. C'est elle qui, animée par l'idée envahissante d'un progrès nécessaire, présente « le paradis céleste comme la récompense finale de tous les travaux qui auront contribué à l'amélioration du sort de l'espèce humaine » 8 • A la fin de l'Ancien Régime, à ces trois classes traditionnelles, Saint-Simon en ajoute de nouvelles, issues de la transformation du régime féodal en une monarchie centralisée et administrative : militaires, fonctionnaires· et légistes non nobles qui 5. De la réorganisation de la socUté européenne, XV, p. 201. 6. Cf. L'Organisateur, XX, p. 85. 7. u La propriété devra être reconstituée et fondée sur les bases qui peuvent la rendre la plus favorable à la coproduction» (L'Organisateur, XX, p. 59). 8. Quelques opinions philosophiques à l'usage du XIX0 si~cle, XXXIX, p. 82. Biblioteca Gino Bianco 341 « ont pris naissance entre les jambes des barons » 9 , et enfin bourgeois oisifs enrichis des dépouilles de la noblesse. A partir de la Révolution, c'est à ces gens non nobles, ou « nobles au petit pied», économiquement des parasites, que Saint-Simon réserve l'appellation, péjorative sous sa plume, de bourgeois, alors que la bourgeoisie productrice ou industrielle devient à ses yeux le porteur du progrès humain. Cette énumération montre que le concept de classe, fondé sur le critère fonctionnel, ne correspond pas à l'idée que nous nous faisons aujourd'hui d'une classe sociale plus ou moins liée à une stratification économique. Ainsi la classe industrielle est l'ensemble des gens occupés à produire et à distribuer des biens matériels à la société. Elle comprend le bourgeois industriel comme le cultivateur exploitant, le fermier comme le banquier et, à côté du chef d'entreprise, l'ouvrier qualifié et le manœuvre. Elle n'a donc aucune homogénéité sociale ; au "r'~ lieu de cette égalité de condition par quoi nous reconnaissons une classe, elle présente une hiérarchie de dirigés et de dirigeants avec les différences de revenus et de prestige que cela comporte. Dans cette société stratifiée, le prolétariat, « la classe la plus pauvre et la plus nombreuse», ne représente que la dernière couche de la classe industrielle, non le producteur exclusif de valeurs au sens marxiste du terme. Néanmoins Saint-Simon ne nie pas l'existence d'antagonismes à l'intérieur de la classe industrielle, mais il les juge « négligeables devant la solidarité qu'elle doit s'imposer pour perpétuer le progrès humain» 10 • Le prolétariat n'a donc pas le rôle historique autonome que lui prête Marx ; il n'est qu'une catégorie souffrante, destinée à disparaître avec le progrès du bienêtre et de la culture que l'avènement du régime industriel doit nécessairement apporter. La hiérarchie des capacités BIEN QUE7LES OUVRIERS forment la majorité de la classe industrielle, ce n'est ni à eux ni à leurs délégués que Saint-Simon en confie la direction politique, mais aux chefs d'entreprise, « véritables chefs du peuple puisque~ce sont eux qui le commandent dans ses travaux journaliers» 11 • Repoussant tout principe :n;iajoritaire, il n'admet d'autre direction que celle des plus capables, qui par une sorte de loi naturelle ne peuvent être que les dirigeants de l'industrie 12 • La hiérarchie de fait est par lui légitimée quelle qu'en soit l'origine parce qu'elle n'est viable que si elle exprime la hiérarchie idéale des lumières.· Non seulement 9. Du système industriel, XXIII, p. 68. 10. Ibid., pp. 140 sqq. n. Ibid., p. 83. 12. « Les entrepreneurs de travaux industriels se trouvent par la nature des choses directeurs et représentants de l'opinion de la majorité (Quelques opinions philosophiques à l'usage du XJXe siècle, XXXIX, p. 81).
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==