Le Contrat Social - anno IV - n. 6 - novembre 1960

338 le fédéralisme interne que parce qu'il leur a été imposé par les vainqueurs. Ils auraient dû se proposer de transférer _à.des institutions fédérales européennes la politique étrangère, militaire et éco~oD:lico-social~~.,a présence des puissances améncau~e. et sovietiqu~ - pour ne pas parler de l'app_arit!on,_à ~n horizon déjà visible bien que plus lomtam, de 1I~de et ~e la Chine - démontrait amplement que diplomatie et art militaire étaient passés du plan de l'équilibre européen à celui de l'équi~bre ~ondial? et q':1e les économies nouvelles ava.J.entdesorma.J.sbesom de dimensions politiques d'ordre continental pour produire tous les fruits de la science et de la technique. Les démocrates d'Europe ont au contraire profité de la généreuse tutelle américaine pour tenter de restituer à leurs États leur rôle de puissances nationales. Ils ont commencé dans l'ordre économique en utilisant les secours du plan Marshall : ils ont ~emis sur pied leurs _sys: tèmes économiques nationaux. Ils ont contmue sur le plan militaire : le ~acte ~tlantique le~ a servi à reconstruire des armees nationales. Et ma.J.ntenant, arrivés enfin au plan diplomatique, ils tentent de reprendre petit à petit leur indépendance nationale en politique extérieure. Pendant les quinze années écoulées depuis la fin de la guerre, plusieurs fois se sont présentées des circonstances qui faisaient apparaître collll11:e utile et possible l'unification de l'Europe. Mais comme le prix à payer était l'abandon du princ~pe de la souveraineté nationale, les démocrates nationaux ont accompli des gestes superficiels de prétendu européanisme et ont laissé passer_ l~s occasions propices en sabotant leurs propres initiatives et en créant un véritable éventail d'institutions européennes dépourvues de pouvoirs réels. Au besoin d'unité politique on a répondu par les inutiles parlotes du Conseil de l'Europe ; au besoin d'unité militaire on a répondu avec le fantôme de l'Union de l'Europe occidentale; au besoin d'unité économico-sociale on a répondu avec 1'0.E.C.E., la C.E.C.A., la C.E.E. et !'Euratom, qui sont des organismes de coopération internationale ca~ables seulement de fonctionner tant que les Etats qui les composent ont intérêt à collaborer et qui demeurent paralysés chaque fois que l'intérêt de tel ou tel État est en contradiction avec l'intérêt européen. S'ils avaient été à la hauteur de la situation, s'ils avaient compris la terrible condamnation que les deux guerres mondiales et ce qui les a suivies ont prononcé contre les nationalismes européens, les démocrates auraient complètement séparé leurs raisons de celles du nationalisme ; ils auraient contesté le principe même de la fusion entre nation et pouvoir politique, s'efforçant de ramener la nation à son plan naturel d'unité linguistico-culturelle et par conséquent de réduire progressivement les États nationaux à de simples ministères chargés de l'éducation populaire et de la protection des coutumes nationales. Au lieu de quoi, lorsqu'ils se sont trouvés au gouvernement, Biblioteca Gino Bianco ------ LE CONTRA1' SOCIAL ils ont parlé et gesticulé au nom de l'Europe, mais se sont gardés d'agir autrement que dans le sens des reconstructions nationales. Et quand ils se sont trouvés dans l'opposition, ils ont aggravé leur attitude nationale en la proclamant plus authentique et plus cohérente que celle du gouvernement, trop infectée, disaient-ils, d'européanisme et par là trop peu attentive aux intérêts suprêmes de la nation. La restauration nationale . EN ACCEPTANleT principe de la souveraineté nationale pour fondement de la légitimité des États, l'expérience démocratique a réintroduit une maladie insidieuse dont les phases peuvent être résumées comme suit : La reconstruction de la vie· civile ayant eu lieu en Europe sous la directio~ poli_ti9uede. gouv~rnements nationaux, sous 1 autonte de lois nationales, grâce à l'activité de partis nationaux, t~ut ce qui avait ou pouvai~ assumer une ~orme_nationale acquérait automa~ique~ent un r~lie~puissant, tandis que tout ce qui avait ou aurait du assumer une forme supranationale restai! indistinct, éc,haJ.?- pait à l'attention ou, dan~ le me1ll~u.rcas,,se re~u1sait à passer pour un obJet de politique etrangere. Une fois terminée la restauration de l' économie, des forces militaires et des idée~ politiques conformément aux catégories de l'Etat-nation, la solidarité entre les diverses démocraties se transformait en simple calcul politique, perdant toute signification plus profonde. Dans la détermination de ce calcul politique, les exigences d'unité, de grandeur, de prestige, d'indépendance, de puissance de la natio~ sont devenues des. c_oefficients de plus en plus importants. La politique d'intégration économique n'a pas été poursuivie avec la perspective de donner w1e base maté!ielle solide à une plus vaste communauté démocratique. Celle-ci, après l'abandon explicite de toute velléité supranationale, est acceptée par chaque État dans la mesure où elle convient à la mise en valeur de son économie nationale. Telle est la signification qu'ont désormais ce qu'on appelle les commun~utés économiques et les débats sur la zone de hbreéchange. La solidarité diplomatico-militaire des démocraties européennes entre elles et avec l'Amérique est également subordonnée, de P-lus en plus, au critère des convenances de chaque Etat national. La disproportion de force et de responsabilité entre l'Amérique et ses alliés européens engendre chez ces derniers un sentiment d'humiliation et de frustration nationale qui se traduit par un antiaméricanisme étendu et croissant, bien que la sécurité de l'Europe dépende essentiellement de l'hégémonie américaine dans le camp démocratique. Le désir de réaffirmer l'indépen- ·dance nationale fait naître dans tel ou tel cercle diplomatique, dans tel ou tel courant politique, l'invraisemblable idée qu'il serait possible de revenir .de l'équilibre mondial à l'équilibre européen, alors que nous savons que les forces réelles

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