Le Contrat Social - anno IV - n. 6 - novembre 1960

A. SPINELLI Dans les années qui ont suivi la guerre, bien des circonstances permettaient de penser que ce principe serait surmonté. Le dégoût pour les idéologies nationalistes était général. Tandis qu'en Allemagne et en Italie le nazisme et le fascisme suscitaient désormais là nausée et ici raillerie, dans les pays mêmes qui avaient vécu sous l'oppression la rancœur nationale contre les agresseurs s'était dissoute avec une rapidité extraordinaire. Les communistes ont continué à miser sur le nationalisme antiallemand en Europe occidentale, mais sans succès appréciable. Partout les partis qui ont prévalu - d'inspiration catholique, socialiste ou libérale - parlaient d'Europe beaucoup plus que de nation. On écartait ceux qui continuaient à penser à l'avenir politique en termes ouvertement nationalistes, même s'ils s'étaient acquis de grands mérites dans la résistance. Les anciennes colonnes des temples nationaux - diplomaties, états-majors, industries protégées - s'étaient écroulées car, à l'exception del' Angleterre et des rares pays qui par ,hasard avaient réussi à demeurer neutres, les Etats européens n'avaient plus ni politique étrangère propre, ni forces armées, ni économie en état de marche. La peur de tomber sous la domination de l'Empire soviétique favorisait le rapprochement des pays d'Europe qui n'avaient pas été occupés par les Russes. Mus par leur intérêt et par leurs traditions, les États-Unis étaient ouvertement favorables à une unification européenne. Pendant la guerre, à l'intérieur de la résistance - qui, si elle n'eut pas la force de libérer l'Europe, fut cependant à la source du renouveau démocratique, - une double critique s'était fait entendre contre l'idée de l'État national souverain. D'une part, on pensait mettre fin à son caractère unitaire en transférant à des corps politiques intermédiaires un grand nombre des fonctions qu'il exerçait, et qu'il avait centralisées non parce que c'était rationnel, mais parce que cela servait les appétits de puissance de la nation. D'autre part, on songeait à transférer à une communauté suP.ranationale d'autres fonctions qui, laissées à l'Etat national, produisaient des conséquences néfastes et empêchaient le développement effectif de cette solidarité entre les peuples dans la paix et la liberté dont la nécessité était paradoxalement démontrée par le conflit lui-même et par ses suites. Mais si ces idées nouvelles de fédéralisme supranational, beaucoup plus c9nform~s a~ p~incipes de la démocratie que l'Etat-nation, etaient sur le plan sentimental accueillies avec sympathie, elles s'élevaient rarement au niveau d'une volonté politique précise, et alors qu'elles auraient dû susciter une polémique radicale contre l'Étatnation, elles apparaissaient plutôt comme des projets pour en corriger tel ou tel aspect sans réduire substantiellement sa validité. Pour tous les adversaires de Hitler - des Russes aux Américains,\;desjmouvements de résistance des pays occupés aux conspirations antihitlériennes · Biblioteca Gino Bianco 337 ourdies en Allemagne - les institutions libres étaient les habits, définitifs selon les démocrates, provisoires aux yeux des communistes, dont il fallait revêtir l'Europe. Mais précisément il s'agissait d'habits, non des corps qui allaient les endosser. Une chose était, aux yeux de tous, l'évidence même : c'est qu'on devait reconstituer les États nationaux tels qu'ils existaient en Europe avant les agressions hitlériennes, avec tout au plus quelques rectifications de frontières, quelques déplacements brutaux de populations, mesures qui d'ailleurs tendaient à accroître partout l'homogénéité nationale. Le principe fondamental de légitimité des nouveaux pouvoirs publics ne devenait pas celui de la communauté démocratique et fédérale, articulée de façon à permettre aux citoyens d'aborder les problèmes communs au niveau local, régional, national ou supranational où ils se posent effectivement, mais demeurait, par l'effet d'un tabou aussi j.nviolable qu'incompréhensible, le principe de l'Etat national souverain. L'Allemagne ellemême, à qui il avait été donné d'offrir du nationalisme l'image la plus infernale, l'Allemagne continuait à constituer essentiellement un problème national, du moment que pour tous les autres peuples d'alentour on ne cherchait et on ne trouvait que des solutions nationales. C'est ainsi que, prisonniers de leur passé, les démocrates des diverses nations européennes n'ont tiré aucune leçon des catastrophes engendrées par le principe de l'État-nation. Ils ne se sont pas attelés à la démolition des harnachements politiques que les nations s'étaient abusivement donnés au cours du siècle et demi précédent. Ils n'ont pas mis à profit une conjoncture extraordinairement favorable pour tenter de construire des communautés modernes plus conformes à leurs propres principes. Sans avoir rien oublié ni rien appris, ils se sont sentis en devoir de concentrer leurs efforts sur la restauration des États nationaux, dont ils reprenaient possession non par leur vertu propre, mais grâce aux armées et à la politique anglo-américaines. Ils auraient dû se proposer de transférer progressivement l'administration d'une bonne partie des affaires intérieures à des communautés régionales. L'expérience était là pour démontrer la supériorité de la vie politique norvégienne, danoise, hollandaise, suisse sur ·la française, l'allemande, l'italienne ; et elle invitait à réfléchir sur l'intérêt qu'il y avait à construire de vigou.;. reuses démocraties locales et régionales. Les démocrates français ont, à l'inverse, laissé de côté toutes les idées qu'ils avaient cultivées dans la résistance sur la réforme de leur État ultra-centralisé et l'ont reconstruit tel quel. Les démocrates italiens sont parvenus à inclure dans leur Constitution les autonomies régionales, mais hormis quelques exceptions périphériques imposées par les circonstances plutôt quo;!librement voulues, ils ont oublié toutes leurs promesses. Quant à ceux d'Allemagne, ils n'ont accepté obtorto collo

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