W. W. ROSTOW supposer que ces sociétés ne toléreraient plus la politique indolente et timide des années 20 et 30 en ce qui concerne le niveau de l'emploi. Et désormais, grâce à la révolution keynésienne, les remèdes sont bien connus. Quant aux rendements déclinants (que Marx postulait dans son hypothèse sur le niveau déclinant des profits), l'échelle et le rythme de l'entreprise scientifique rendent improbable que nous puissions manquer de besogne si les hommes préfèrent une activité productive aux loisirs. Les sociétés qui préfèrent une vie active pourront imiter l'exemple américain et procréer davantage quand elles seront fatiguées des gadgets. Colonies et capitalistes ENFIN, quant à la prétendue dépendance du capitalisme parvenu à maturité à l'égard des colonies, si le colonialisme est pratiquement mort, le capitalisme occidental connaît une croissance extraordinaire. En réalité, les difficultés des sociétés capitalistes viennent maintenant de leur répugnance à se préoccuper suffisamment du monde sous-développé. Au lieu qu'une demande intérieure insuffisante les oblige à se tourner vers l'extérieur, la demande est trop forte pour que les gouvernements puissent trouver des ressources adéquates pour les affaires extérieures. Le communisme met son espoir non plus dans les crises dues à la lutte pour les exportations, mais dans le fait que le monde capitaliste est trop absorbé par les marchés intérieurs. Que devient Marx dans l'analyse des phases de · croissance ? Son système était déjà entièrement construit en 1848, époque où l'Angleterre seule avait connu le démarrage. Et la transition britannique avait été unique dans· son genre, suscitée par le dynamisme interne d'une société, sans intervention extérieure. Marx généralisa ce cas particulier et s'en tint à la classe moyenne et au moteur du profit, ignorant le rôle de la réaction nationaliste et le problème du choix qui se pose lors de la création d'un État moderne indépendant. Un défaut de son système apparut dès avant sa mort, et il ne sut pas y porter remède. D'aucuns estiment que l'inachèvement du Capital en reflète la reconnaissance intérieure par Marx. En effet le salaire industriel réel augmenta en Europe occidentale et la classe ouvrière se montra disposée à accepter les conditions du capitalisme démocratique. Et ainsi Marx finit sur une vue désabusée de l'ouvrier. L'ouvrier se satisfaisait d'un progrès assez régulier, il était prêt à accepter les règles de la démocratie politique pour obtenir ce qu'il voulait, il se montrait enclin à s'identifier avec sa propre société nationale plutôt qu'avec le monde abstrait des ouvriers industriels prétendument opprimés partout. Là commence l'histoire de Lénine et du communisme moderne. Biblioteca Gino Bianco X. - Le véritable défi du communisme 333 LE COMMUNISMmEoderne est façonné par les erreurs et les défauts de Marx. Lénine avait affaire à un monde d'ouvriers bien caractérisés, de paysans que Marx tenait pour des lourdauds et dont il se désintéressait, de nationalismes puissants, de guerre. La décision fondamentale de Lénine fut de rechercher le pouvoir malgré la répugnance de la plupart des ouvriers russes à soutenir une tentative révolutionnaire. Sa brochure de 1902 Que faire? marque l'origine du communisme moderne. Il y affirme que si les ouvriers ne sont pas prêts à assumer leur destin marxiste, le parti communiste les y obligera. Le Parti ne se contenterait pas d'être une fraction du mouvement socialiste, comme le conseillait le Manifeste de 1848 ; il se constituerait en une élite de conspirateurs et rechercherait le pouvoir sur une base minoritaire, au nom du prolétariat. Depuis la scission du mouvement socialiste russe en 1903 jusqu'au soulèvement des ouvriers de Budapest en 1956 et au refus obstiné de Moscou d'envisager des élections libres même là où le capitaliste et le propriétaire foncier ont été liquidés, c'est le chancre qui ronge la pensée et la pratique communistes. Il en est sorti une organisation de l'État fondée sur un déterminisme non pas économique mais politique. Ce n'est pas la propriété des moyens de production qui décide tout; c'est la haute main sur l'armée, la police et les moyens de communication. Lénine et ses successeurs ont retourné Marx et remis Hegel sur ses pieds. Ils sont partis de l'idée que, dans une société en état de crise, une minorité disciplinée peut s'emparer du pouvoir, le conserver sans m11si elle maintient son unité et faire progresser l'économie dans un sens qui accroisse le pouvoir de l'élite. De manière paradoxale, les pays communistes correspondent à peu près à la description inexacte de l'économie capitaliste faite par Marx. Les salaires sont maintenus aussi bas que le permet la nécessité des stimulants. Les profits sont remployés en investissements et en dépenses militaires. Et le système serait mi~ en péril si l'énorme potentiel qui en résulte servait à augmenter les salaires réels. · Ce retournement de Marx au nom de Marx pose des problèmes. Le nationalisme est toujours vivace. Le mouvement vers la · maturité technologique fait naître de nouvelles aspirations et de nouveaux besoins intellectuels, la dynamique Buddenbrook se développe, génération après génération. Ceux qui se sont emparés du pouvoir et ont mis sur pied une grande machine industrielle auront pour successeurs des hommes qui, si la machine n'a pas de résultat décisif dans l'ordre international, pourraient décider qu'il y a de meilleursobjectifsà rechercher.
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