Le Contrat Social - anno IV - n. 6 - novembre 1960

332 dans la formule : « Un homme, une voix.» Rien dans l'analyse de Marx ne peut expliquer pourquoi les intérêts fonciers finirent par accepter le Bill de réforme de 1832 ou les capitalistes l'impôt progressif sur le revenu et l'État bien-être ; car dans le marxisme, c'est pour la propriété que les hommes luttent et meurent. Rien dans l'analyse de Marx n'explique que la classe ouvrière ait patiemment accepté l'organisation du capitalisme privé une fois qu'elle fut associée au processus politique démocratique. L'issue des conflits sociaux est sans doute commandée en dernière analyse par le désir d'assurer la continuité de la communauté. Charles Curtis, avocat à Boston, a écrit récemment : ...Les meilleures décisions ne s'achètent ni ne se vendent. Elles sont le résultat d'un désaccord où le dernier mot n'est pas : « Je reconnais que vous avez raison», mais : « Je suis bien obligé de m'entendre avec cette fripouille, n'est-ce pas ? » (A Commonplace Book, New York 1957). Karl Marx, profondément isolé de ses semblables, n'a jamais compris ce dissolvant fondamental, qu'il tenait pour une lâcheté et une trahison et non comme la condition minimale d'une vie sociale organisée, de tout temps et en tous lieux. Analyse des conflits NE VOIR la guerre qu'en termes d'avantages économiques est impossible quand on analyse l'origine réelle des différents types de conflits. Le nationalisme et son train sont une survivance des sociétés traditionnelles. Qu'il suffise de rappeler la primauté que les peuples coloniaux ac- ~ordent. à l'indépendance sur le développement economique. Ainsi l'image que nous nous faisons de la dissolution des sociétés traditionnelles résulte de la convergence de l'intérêt matériel avec un sentiment national d'autant plus sourcilleux qu'il est plus r~cent : s'y ajoute la conscienceque les enfants ne doivent pas être condamnés à mourir jeunes ni à vivre dans l'analphabétisme. Lorsque l'indépendance ou la nation moderne est atteinte, il n'y a pas de passage automatique à une prédominance du progrès et de la motivation par le profit, mais un problème d'équilibre entre l'affirmation extérieure, la consolidation du pouvoir central et la croissance économique. . Il est vrai que lorsque le choix est fait et que le progrès s'est emparé de la société, l'histoire enregis~e généralement une longue phase où la croissance économique constitue l'activité essentie~~-,C'est dans la n1arc~e à la maturité que les societes se sont comportees de la façon la plus marxiste. Mais même alors, le moteur du profit n'était pas nécessairement. dominant. Aux ÉtatsUnis après la guerre de Sécession, au cours de la phase la plus matérialiste peut-être. dç toijtes LE CONTRAT SOCIAL les sociétés capitalistes, les hommes s'employaient à industrialiser un continent non pas simplement pour gagner de l'argent, mais aussi pour la puissance, par goût de l'aventure et pour des raisons de prestige. Comment expliquer autrement l'effort acharné de ces hommes, poursuivi longtemps après qu'ils eurent gagné plus d'argent qu'euxmêmes ou leurs enfants pouvaient raisonnablement en dépenser ? Nous arrivons maintenant aux erreurs bien connues de Marx. On a récemment souligné qu'en fait la population n'a pas progressé de façon à maintenir une armée de réserve de chômeurs et que sous la concurrence capitaliste les salaires réels n'ont pas stagné mais augmenté. Ces erreurs découlent directement de la proposition fondamentale formulée par Marx sur les sociétés ; car le pouvoir, qu'il fût politique, social ou économique, n'a pas suivi exactement les transformations de la propriété privée. La concurrence ne fit pas place au monopole ; · quoique imparfaite, elle permit aux salariés d'approcher du produit marginal net en valeur ; et ce progrès fut consolidé par la reconnaissance des syndicats et les interventions politiques découlant du processus démocratique. De plus, le progrès des masses lui-même (exclu dans l'analyse de Marx) se traduisit par une restriction non malthusienne du taux de la natalité. Lorsque les intérêts composés commencèrent à se faire sentir, le progrès fut partagé et la lutte de classes s'atténua. La maturité atteinte, les sociétés ne se trouvèrent pas devant une impasse cataclysmiquç, mais devant un nouvel ensemble de choix : Etat bien-être, haute consommation de masse ou affirmation sur la scène mondiale ; alors que chez Marx les intérêts composés prennent la forme perverse de profits croissants qui ne peuvent être distribués qu'en grand train de vie capitaliste, en capacités inutilisables et en guerres. Quant aux monopoles, aux États-Unis, aussi bien que dans les autres sociétés occidentales le degré de concentration industrielle n'a pas augmenté sensiblement depuis cinquante ans. C'est le développement de la recherche et de la technique plutôt que l'inadaptation des petites entreprises qui favorise la concentration. Et la concentration a dû de plus en plus se plier aux conditions du processus politique. Jusqu'en 1914 l'amplitude des cycles de chômage n'avait pas augmenté. La crise unique des années 30 ne fut pas due à des rendements à la longue déclinants (comme le croyaient Hanson et Keynes), 'mais au fait que l'Europe occidentale n'avait· pas su ménager un passage rapide à la consommation de masse, pas plus que lesAméri- . cains n'avaient su assurer par une politique géné- . raie le plein emploi qui aurait permis aux nou- . veaux secteurs-clés (logement suburbain, automobiles, biens de consommation durables et services) d'aller de l'avant et de surmonter 1929. AujQurd'hui, la sensibilité aux moindres signes de ~hômagedans les démocraties modernes laisse

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==