330 les domaines, elle ne disposera, comme les autres économies mûres, que de l'accroissement annuel de la technologie. Mais l'URSS jouit d'un avantage évident : la concentration de ses investissements dans l'industrie lourde et celle qui se rattache au potentiel militaire, par opposition aux États-Un!s où l_es investissements sont répartis entre l'industrie, lourde et légère, les biens de consommation et les services. C'est là que réside peut-être le danger pour l'Occident. Les dépenses militaires soviétiques IL FAUT ici distinguer nettement les dépenses militaires du taux et du schéma de croissance. L'URSS consacre aujourd'hui aux dépenses militaires environ 20 % de son produit national brut, les États-Unis environ 10 ¾• En termes réels, les deux efforts sont à peu près équivalents ; mais ils sont tout autres par leur composition. L'URSS entretient une armée importante et fait un gros effort sur les fusées. Les États- Unis affectent davantage de crédits à la marine et à l'aviation. La nature de la menace militaire soviétique n'est donc pas dans l'échelle relative des dépenses mais dans la répartition de ces dépenses. Si l'Union soviétique prenait en matière de fusées une avance assez grande pour détruire d'un seul coup la capacité occidentale de rétorsion, cela ne viendrait pas de l'importance de son effort, mais d'une plus grande concentration des talents scientifiques sur un système d'armes nouvelles ; de même, la bataille de France fut gagnée en 1940 par les Allemands parce que la technique de la guerre-éclair reposait sur une stratégie de mouvement à base de chars appuyés par le bombardier en piqué. Le deuxième danger est que l'Union soviétique puisse contrecarrer la force aérienne et navale américaine par la menace des fusées et ·employer avec succès ses importantes forces terrestres dans une guerre locale limitée. L'examen de conscience américain après le lancement du premier satellite soviétique revêtit parfois la forme d'une démonstration par les chiffres : on dressait des graphiques du nombre d'ingénieurs formés dans les deux pays et l'on constatait que les courbes se croisaient de façon inquiétante. Là n'était pas la question. L'URSS a concentré une proportion beaucoup plus élevée de ses ingénieurs, et surtout de ses meilleurs savants, sur le travail militaire, en particulier les fusées. C'est dans les crédits plutôt que dans les chiffres de production que l'Union soviétique a progressé en matière de fusées et de puissance générale. Elle a acquis une position militaire de pre~ier ordre à partir d'une base économique momdre que celle des Etats-Unis. En ce sens, elle réédite ce que l'Allemagne et le Japon firent dans les années 30. Il ne fa1:1tpas confondre cette prouesse, due à un choix délibéré, avec la question des taux de croissance. LE CONTRAT SOCIAL Faut-il trembler parce qu'en Russie le produit national brut progresse maintenant .d'un peu moins de 6 % par an, contre 3 ou 4 % seulement · aux États-Unis depuis la fin de la guerre ? L'URSS n'acquerra-t-elle pas bientôt la primauté économique ? Tout d'abord un ensemble de forces, apparentes déjà dans les derniers plans d'expansion, contri-- buent au ralentissement. Sans doute la production d'acier approche-t-elle la production américaine, de même qu'avec le temps les retards historiques de productivité devraient diminuer. Et alors ? Pourquoi l'Union soviétique n'aurait-elle pas une industrie égale ou même supérieure à celle des États-Unis ? Ensuite, la production soviétique doit certainement changer dans sa composition. Le taux élevé d'accroissement du produit national brut est dû à la concentration des investissements dans certains secteurs. Mais une énorme industrie lourde à croissance rapide n'est pas un but en soi ni un avantage international intrinsèque. Cela se reflète par exemple de plus en plus dans les crédits soviétiques pour l'agriculture, l'objectif premier étant maintenant d'augmenter l'approvisionnement en nourriture de bonne qualité ; et jusqu'à un certain point, dans le logement et les biens de consommation tels que la télévision. Si lentement que ce soit, l'entrée furtive des machines à laver, des réfrigérateurs, des motocyclettes et même des voitures particulières a commencé, et la première ville satellite est en construction. A mesure que ces pressions augmenteront et que la structure économique se rapprochera de celle des économies de haute consommation de l'Occident, les taux de croissance tendront à se rapprocher. Si nous pouvions décider l'URSS à libérer ses ressources pour le bien-être et à œuvrer pour la sécurité internationale, les changements de structure de son économie la réduiraient à un modèle plus classique. En attendant, pour évaluer correctement, les dangers qui nous menacent, nous devons considérer les affectations spécifiques des ressources soviétiques plutôt que leur force d'impulsion d'ensemble. Il n'y a rien de mystérieux dans la Russie d'aujourd'hui. C'est une grande nation, bien pourvue pour créer une· économie et une société modernes. Pendant son démarrage, elle fut éprouvée par une grande guerre ; l'équilibre précaire entre le~ éléments politiques traditionnels et démocratiques s'effondra dans la défaite et le désordre ; et une forme particulière d'organisation sociale prit en main une situation révolutionnaire qu'elle n'avait pas créée. Les impératifs intérieurs de cette organisation et ses·ambitions extérieures ont donné naissance à une variante de l'expérience commune de croissance, anormalement centrée sur l'industrie lourde et le potentiel militaire. Mais ni par l'échelle, ni par les affectations, ni par la force d'impulsion, les structures
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