W. W. ROSTOW par têtç d'habitant pour la Russie de 1880 à 1955 et les Etats-Unis de 1870 à 1955. Ce tableau, qui assigne à 1913 le chiffre 100 et couvre 37 industries, révèle que la différence moyenne est en 1955 de 56 ans de croissance et que toute la courbe soviétique reste au-dessous de la courbe américaine, l'intervalle qui les sépare ne variant guère. Il apparaît qu'entre 1880 et 1913 la Russie progressa, de manière relative, pendant son démarrage. Elle régressa dans les années 20, se réorganisant lenteme,nt après la guerre et la révolution, alors que les Etats-Unis étaient en pleine expansion. Elle avança relativement pendant les plans quinquennaux des années 30, alors que les EtatsUnis subissaient une crise ; après 1945 elle se remit à progresser, quand la production fut plus fortement centrée sur l'industrie, alors que l' eff<;>rtaméricain portait sur le logement et les services. En années de retard, la situation relative demeure en 1955 étonnamment la 1nême qu'en 1913. Les retards ne sont pas uniformes : dans certaines industries, ils sont de moins de 20 ans, dans d'autres de beaucoup plus de 50. Mais si l'on prend comme base de comparaison la séquence de croissance, M. Nutter a raison dans ses quatre conclusions : L'industrie soviétique semble avoir encore à peu près trois décennies et demie de retard sur les États-Unis pour les niveaux de production et environ cinq décennies et demie pour les niveaux de production per capita... Deuxièmement, (...) le développement de l'industrie soviétique est à peu près équivalent à celui qui eut lieu [aux États-Unis] entre 1880 et 1920 et par tête d'habitant correspond à une période plus ancienne qui prend fin vers le début du siècle. Troisièmement, à considérer l'ère soviétique dans son ensemble, les industries ont généralement perdu du terrain par rapport aux industries américaines correspondantes : les retards ont généralement augmenté tant pour la production totale que pour la production par tête d'habitant ... Quatrièmement, si les industries soviétiques ont eu ces dernières années tendance à gagner du terrain pour la production totale, elles ont continué d'en perdre pour la production per capita. Ce qui revient à dire que le démarrage russe eut lieu dans les années 1880 ou 1890, tandis que le démarrage américain ét~it terminé en 1860. Après leur démarrage, les Etats-Unis subirent la guerre de Sécession et la crise économique des années 30, la Russie les deux guerres mondiales. Mais le progrès de l'industrie fut remarquablement similaire en termes de production ; et en fait de productivité individuelle, l'avantage initial de l'Amérique dans l'équilibre entre la population et les ressources devait se maintenir en gros jusqu'en 1955. Somme des contrastes PASSONmSaintenant en revue quelques-unes des différences essentielles. Les conditions préalables 1 BibliotecaGino Bianco 329 au démarrage furent créées dans une Russie empêtrée dans une société traditionnelle, avec des problèmes complexes de régime foncier, des serfs analphabètes, des campagnes surpeuplées, l'absence d'une classe moyenne de commerçants aux coudées franches et une culture qui, au début, 1!' encourageait pas l'économie moderne. Les Etats-Unis étaient dotés de fermiers vigoureux, indépendants, propriétaires de leurs terres, de nombreux commerçants entreprenants, ainsi que d'un système social et politique qui s'adapta facilement à l'industri~lisation. Ils n'eurent qu'à surmonter la tentation de n'être qu'un fournisseur de produits alimentaires et de matières premières. Deuxièmement, à chaque étape de la croissance, la consommation américaine par tête d'habitant fut plus élevée qu'en Russie. Fondamentalement, c'est une question d'équilibre entre la population et les ressources ; mais la tendance a été renforcée ·en Russie, tant tsariste qu~ soviétique, par les restrictions imposées par l'Etat. Troisièmement, la marche des États-Unis à la maturité eut lieu pendant une période de paix, dans une atmosphère de liberté politique (sauf dans le Sud) et dans une société étroitement liée à l'économie mondiale. En Russie, elle se produisit pendant les trois décennies postérieures à 1928, dans une économie pratiquement fermée, sur un arrière-fond de guerre et de préparatifs de guerre, ce qui ne ralentit pas le développement de la technologie, mais limita l'augmentation de la consommation ; sans parler, jusqu'aux toutes dernières années, de l'existence de plus de dix millions de personnes condamnées au travail forcé. Quatrièmement, les indices de production industrielle ne rendent pas parfaitement compte des grandes difficultés dans deux secteurs primordiaux de l'économie soviétique, l'agriculture et le logement. Pour le logement, l'Union soviétique vécut surtout, jusqu'à ces dernières années, sur le stock de capital hérité du tsarisme, ce qui restreignit progressivement la surface habitable par famille. En agriculture, elle fit de gros investissements, mais la collectivisation maintenait la productivité à un niveau extrêmement bas. Quant au réseau routier, il fut réduit à la portion congrue. Ainsi l'Union soviétique· n'a pu emboîter le pas aux États-Unis en matière d'industrialisation que· grâce à une proportion beaucoup plus élevée des investissements dans l'industrie lourde, assortie de deux facteurs techniques qui sont l'apanage de n'importe quel tard-venu : le rapport entre les investissements nets et bruts pendant la campagne d'industrialisation était plus élevé ; et le nombre des possibilités technologiques inappliquées y était plus élevé qu'aux États-Unis. Mais ces deux derniers avantages sont essentiellement passagers. Parvenue à maturité, l'Union soviétique doit consacrer une part plus grande de ses ressources aux amortissements ; et à mesure qu'elle rattrape la technologie moderne dans tous
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