Le Contrat Social - anno IV - n. 5 - settembre 1960

QUELQUES LIVRES soutient que dans ces conditions Dieu n'est pas autre chose que la conscience que l'homme prend de lui-même, conscience projetée dans un être fantastique qu'il suppose étranger à lui-même. De là vient le concept technique de l' « aliénation religieuse », tandis que la notion correspondante, dont Marx fera une seconde application au domaine économique, avait chez Hegel une portée beaucoup plus vaste. Mais le P. Cottier, qui n'aime pas beaucoup Feuerbach, met aussi en lumière un important chaînon intermédiaire entre Hegel et l'auteur de L' Essence du christianisme : il s'agit de Schleiermacher qui, dans son analyse du sentiment religieux, entreprend une réduction subjectiviste beaucoup plus nette que la synthèse équivoque du sujet et de l'objet suggérée par Hegel. Nous ne sommes pas entièrement convaincu, les textes qui attestent l'influence de Schleiermacher sur Feuerbach datant d'une époque où ce dernier commençait à avoir des doutes sur la validité de sa première construction et en esquissait une seconde. De toute façon, Schleiermacher ne se déclarait pas athée et sa célèbre définition de l'essence de la religion par le « sentiment de dépendance» ne joue aucun rôle direct dans la genèse de la pensée de Marx, lequel retient essentiellement la première interprétation de la religion de l'Homme-dieu par substitution de l'homme à Dieu. Ce qui est vrai, c'est qu'après avoir subi l'influence de la première construction feuerbachienne, le jeune Marx revient à Hegel et qu'il tire d'un autre aspect de la doctrine un nouvel argument antireligieux destiné à faciliter ·1a transition vers le matérialisme historique proprement dit. Le rôle attribué par Hegel au « travail » dans la genèse de l'homme fournit la notion d'une sorte d'autocréation de l'homn1e par 1uimême qui permet de répondre à l'argument religieux de la création par un autre argument : ce n'est pas Dieu qui a fait l'homme en tant qu'homme, mais l'homme qui s'est fait lui-même par le travail au cours de sa propre histoire. Il appartient donc à l'homme de se récupérer luimême en mettant fin à l'aliénation économique, ce qui lui permettra de se libérer ensuite de l'aliénation religieuse. Le travail par lequel l'homme se fait lui-même en humanisant la nature constitue l'unité de l'homme et de la nature. Mais qu'en est-il de la nature elle-même ? Subsiste-t-elle indépendamment de sa relation à l'homme ? Le P. Cottier., soumettant à une analyse minutieuse les textes philosophiques du jeune Marx, montre que tout se passe comme s'ils tendaient à réduire au minimum l'indépendance de la nature par rapport à l'homme., comme s'ils voulaient laisser augurer que la nature., complètement dominée, sera finalement résorbée par le sujet humain, conformément à un schéma d'origine hégélienne. De là vient que ce qui est le plus difficile à comprendre dans le matérialisme historique., c'est précisément le «matérialisme»., si on entend par là un réaBiblioteca Gino Bianco 317 lisme, c'est-à-dire une doctrine qui pose pleinement l'existence de l'objet en dehors du sujet. Mais peut-être, en donnant des termes une nouvelle définition, selon la suggestion de M. Meynier *, pourrait-on parler sans contradiction à ce propos d'un « idéalisme matérialiste »... A la limite, le sujet humain (il ne s'agit pas de l'homme individuel, mais de l'espèce) prendrait la place du ci-devant auteur de la nature avec les attributs correspondants. Nous pensons que la place de l'athéisme dans le système de Marx est clairement définie par le texte de la Critique de la philosophie du droit de Hegel que rappelle le P. Cottier, p. 152 : « Pour l'Allemagne, la critique de la religion est finie pour l'essentiel, et la critique de la religion est le présupposé de toute critique. » Il s'agit donc du point de départ, non de l'achèvement du système. Cette critique de la religion que Marx tient pour définitive, c'est celle de Feuerbach première manière, avec l'addition d'un complément d'origine hégélienne. Considérée comme définitivement acquise, elle ne se suffit cependant pas à elle-même en ce sens qu'elle appelle d'autres critiques : de la critique de l'aliénation religieuse, il faudra passer à celle de l'aliénation politique, puis à celle de l'aliénation économique, et la critique de la religion ne deviendra vraiment efficace que lorsque les deux autres auront produit leurs effets. Il s'ensuit qu'en insistant comme on le fait aujourd'hui sur l'aspect philosophique ou même théologique du système de Marx, on lui fait subir une sorte d'involution qui pourrait être le prélude d'une dissolution par retour dans les nuées, dont le jeune philosophe hégélien aspirait sincèrement à s'affranchir. A. P. La politique de l'autruche ÉDOUARD DEPREUX: Renouvellement du socialisme. Préface de Pierre Mendès France. Paris 1960, Calmann-Lévy, 212 pp. Sous UN TITREPRQMETTEUMR. ,Édouard Depreux a rédigé pour le récent congrès du parti socialiste unifié w1e brochure qui se voudrait une révision du · socialisme traditionnel, tel qu'il avait été défini par la charte d'unité de la S.F.I.O. en 1905. Constatant la crise évidente de la pensée socialiste en 1960, l'auteur s'empresse d'affirmer que le socialisme « seul peut conciller le respect des libertés individuelles avec l'organisation démocratique (et non bureaucratique) de l'économie qu'impose l'évolution du monde moderne» (p. 11). Pareille affirmation exigerait que soient acquis deux points : d'abord., une nouvelle définition du socialisme dont on sait qu'il a., théoriquement • Essai sur l'idéalisme moderne. Cf. compte rendu in Contrat social, juillet 1960, p. 253.

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