316 où ils allaient être précipités ? Il aurait du moins fallu leur apprendre au départ, par honnêteté à l'égard du marxisme comme du christianisme, que « les pauvres » selon l'Évangile ne pouvaient être identifiés aux ouvriers selon le Manifeste communiste. La « doctrine sociale de l'Église », faite de vœux plutôt que de constatations, ne suffisait pas à leur faire entendre que la fameuse équation de la classe· ouvrière internationale et du communisme mondial, par laquelle ils ont été abusés, est une fausseté de fait. Dans le tome second, le P. Fessard s'emploie lucidement à discuter, contre des théologiens assez imperméables à l'expérience, le concept de l'unité de la classe ouvrière, la distinction du politique et de l'économique, mais dans un cadre que nous croyons encore trop doctrinal. Bien plus que d'un supplément de théologie, et même de théologie morale et politique, il semble que les prêtres-ouvriers, avant d'être lancés dans cette aventure, auraient eu besoin de quelques connaissances positives sur les problèmes sociaux et politiques de notre temps. On voit bien que ce qui, en sus d'une ·affectivité débordante, a perdu certains d'entre eux, était précisément l'habitude de raisonner dogmatiquement à partir d'un principe d'autorité dont on leur offrait un nouvel équivalent. A partir de là, ils étaient abandonnés à ce que de nos jours les philosophes appellent l' « expérience vécue » ; pratiquée sur un plan forcément réduit, cette expérience ne leur permettait pas de franchir certains horizons et les laissait prisonniers de constructions grandioses dont ils ne se souciaient pas d'éprouver la validité à une plus vaste échelle. Et s'il fallait à leur usage séparer dans le marxisme le bon grain de l'ivraie, ç'aurait pu être en leur montrant la possibilité de retourner contre certaines conclusions posées a priori la méthode d'analyse marxiste elle-même, lorsqu'on en fait un instrument scientifique et non le prolongement d'une théologie (des exemples pourraient être tirés de Simone Weil, dans un climat moral accessible aux esprits religieux). Le « marxisme », aujourd'hui terme ambigu par excellence, recèle la possibilité d'une parathéologie attestée par sa transformation en religion d'État, mais ne se réduit pas à cela. Le P. Fessard dont nous admirons la lucidité et le courage digne de celui dont il a fait preuve en d'autres circonstances, porte le débat à une hauteur intellectuelle qui risque d'accabler les prêtresouvriers et d'indisposer les docteurs qui n'ont pas son envergure. Relativement à la partie doctrinale du progressisme chrétien, son ouvrage demeurera fondamental. AIMÉ PATRI. PIERRE ANDREU : Histoire des prêtres-ouvriers. Paris 1960, Nouvelles Éditions latines, 255 pp. CET OUVRAGcEomplète et adapte en utilisant de nouveaux· documents Grandeurset erreurs des Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL prêtres-ouvriers du même auteur, publié~il y a · cinq ans, alors que l'expérience, officiellement ter- · minée en juin 1959, était encore en cours. En ce. qui concerne l'aspect purement historique ou simplement humain du problème, ce sera un utile complément à l'ouvrage do_ctrinal du P. Fessard. Il est clair que l'on lne doit pas confondre la Mission de France (1942) et la Mission de Paris (1943) avec le progressisme chrétien, variété avouée du crypto-communisme constituée en 1947, mais la conjonction s'est opérée par la suite avec l'essaimage des prêtres-ouvriers qui étaient au nombre d'une centaine vers 1954, dont une trentaine dans la région parisienne. Il faut noter que le premier prêtre-ouvrier par initiative personnelle, le P. Loew, n'a jamais été progressiste, tandis que l'abbé Boulier, figure représentative du cléricat progressiste, n'a jamais été ouvrier. L'ouvrage de Pierre Andreu, catholique d'inspiration sociale sorélienne, n'est pas favorable au progressisme, mais plein de compréhension sy~p~thique pour l'apostolat dont il approuve le principe. A. P. GEORGES M. M. COTTIER: L' Athéisme du jeune Marx. Paris 1959, Vrin, 384 pp. IL s'AGITde déterminer le rôle de l'athéisme dans la formation du système de Marx, considéré une fois, de plus comme essentiellement philosophique. Le sous-titre évoque les « origines hégéliennes», ce qui revient à faire intervenir exclusivement une des trois sources dégagées par Kautsky, les deux autres étant le socialisme français et l'économie politique anglaise. L'auteur admet, par l'intermédiaire de Hegel, des origines plus lointainement protestantes : la conception luthérienne selon laquelle tout ce qui est donné à l'homme est retiré à Dieu et inversement. Il suffit en effet de renverser un certain pessimisme ou contre-humanisme luthérien pour obtenir un certain optimisme marxiste se caractérisant comme humanisme. A cette conception présentée comme imposant une option entre le divin et l'humain, le P. Cottier, O. P., offre finalement l'analogie thomiste du divin et de l'humain conforme à sa propre doctrine. La position théologique de Hegel, sorte de transposition abstraite des mystères du christianisme, est malaisée à définir : si « l'absolu est sujet », il semble bien que ce sujet ne puisse être en dernière analyse pour le philosophe ·que le sujet humain. C'est ce qui s'exprime dans des formules ambiguës comme celle qui est citée p. 90 : « L'homme n'a connaissance de Dieu que pour autant que Dieu a connaissance de soi-même dans l'homme. » On obtient ainsi une sorte d'anthropothéisme dont la clef, croyonsnous, se trouve chez Feuerbach, lorsque celui-ci
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