QUELQUES LIVRES Un souffle prophétique RosA LUXEMBOURG: La Rivoluzione russa. Introduction et notice biographique de Lucien Laurat. orne 1959, Ed. Opere nuove, 130 pp. DOIT-ON dire que la publication en italien d'écrits de Rosa Luxembourg est de particulière actualité ? En vérité, Rosa Luxembourg est d'actualité partout et toujours. ·Deux textes d'elle se trouvent ici rassemblés : l'opuscule sur la Révolution russe, qu'elle écrivit en prison peu avant sa mort, est en effet précédé de l'article sur les Questions d'organisation de la social-démocratie russe, qui date de 1904 (Lucien Laurat a, en 1934, publié cet article en français, avec deux autres du même auteur, sous le titre de Marxisme, réformisme et léninisme). Le rappel de ce texte contemporain de l'origine même du bolchévisme montre la continuité avec laquelle Rosa Luxembourg a, contre Lénine, exposé et défendu les exigences de la liberté de l'esprit et de la démocratie. Dans son introduction et sa notice biographique, avec sa précision et sa lucidité coutumière, notre ami Lucien Laurat retrace le cadre historique et théorique où s'inscrivent les écrits de Rosa Luxembourg, cadre qui permet de situer et d'apprécier ses jugements. Il met en relief la justesse de certaines de ses vues, et observe aussi qu'éclairés par une longue expérience, nous pouvons en rectifier d'autres. Il relève notamment (p. 26), cette contradiction : << Rosa Luxembourg félicite les bolchéviks de s'être emparés du pouvoir par la violence, et en même temps les blâme pour avoir supprimé la démocratie. » Nous savons maintenant, ajoute-t-il, « qu'un parti qui conquiert le pouvoir contre la volonté de la majorité de la nation ne peut s'y maintenir que par la dictature, et que lui demander de respecter les règles de la démocratie, c'est exiger de lui un pur et simple suicide ». Lucien Biblioteca Gino Bianco Laurat a raison. Mais si Rosa Luxembourg a tant de prix pour nous, n'est-ce pas, pour une part, à cause de cette contradiction? Si l'âme de Rosa Luxembourg nous apparaît comme une torche ardente, c'est précisément parce que, chez elle, la revendication de laliberté est étroitement associée à l'aspiration révolutionnaire. Le bouleversement social et la réalisation de la liberté ne sont pour elle que les deux aspects d'une seule et même transformation. Et si l'on a pu noter dans sa pensée un certain flottement concernant le rôle des inorganisés dans la révolution, c'est précisément parce qu'à ses yeux la révolution sera, tout autant qu'une action des dirigeants mettant en œuvre un plan préconçu, une propagation fulgurante de la conscience à travers les masses. « C'est seulement par l'activité propre de l'ensemble des ouvriers que la parole se fera chair », dit le programme du Spartakusbund. Mais dès 1903 et 1904 - dans les articles recueillis en 1934 par Laurat, - Rosa Luxembourg, usant explicitement de concepts hégéliens, voyait, contre les prétentions des dirigeants, qu'ils fussent parlementaires ou révolutionnaires, l'esprit s'incarner dans la masse populaire. La Révolution, pour Rosa Luxembourg, c'est l'action et la conscience se fomentant l'une l'autre dans une ascension vertigineuse. Aussi peut-on imaginer que bouleversement et violence ne sont pas simplement, chez elle, des opinions erronées, mais jouent un rôle néçessaire dans sa conception de la fin de l'histoire : il faut un choc pour déclencher là conversion universelle, l'avènement de !'Esprit. C'est ce soufle prophétique qui fait de Rosa Luxembourg un auteur toujours précieux à relire. Et son mérite singulier est de nous mettre en garde non seulement contre le conformisme de la routine, comme tant d'autres font, mais ce qui est plus rare, contre .le conformisme de l'enthousiasme.
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