306 Khrouchtchev a pu choisir une formule comme : « Il ne faut pas oublier que tous les kolkhoziens ne touchent évidemment pas la rémunération excessivement élevée de 40-50 roubles par journée de travail » 16 , alors que les kolkhoziens si grassement payés ne constituent sans doute pas plus de 0,1 % du total. Pendant un quart de siècle, les paysans furent maintenus à un niveau de vie proche de la famine et voilà que Khrouchtchev exige (dans le même discours) que « la rémunération des kolkhoziens ne dépasse pas le niveau des salaires des ouvriers dans une région donnée. Les ouvriers et les kolkhoziens (...) doivent marcher du même pas pour l'élévation de leur bien-être ». Ce « même pas » signifie sans doute le plus bas salaire pour l'ouvrier et le maximum pour le kolkhozien. Ainsi le tableau n'est guère encourageant, bien que les gains que les kolkhoziens tirent du kolkhoze n'aient en moyenne guère dépassé la moitié de ces gains et de ceux de leur exploitation privée réunis. Mais 1959 doit marquer le début de l'« édification du communisme» et celui-ci, tel qu'on le conçoit en URSS, est franchement incompatible avec la propriété privée d'une vache ou d'un porc. Les dirigeants ne peuvent pas ignorer que l'extrême stratification des revenus que les paysans tirent du kolkhoze empêche de faire de ces revenus l'essentiel de leur revenu total. La campagne en cours est mal engagée : on parle des revenus élevés de quelques kolkhoziens et l'on passe le reste sous silence. Ce sont les bas revenus de la masse des kolkhoziens provenant de leurs kolkhozes qui entravent la marche rapide vers le « communisme ». Le plan septennal LE PLAN fixe à 40 % la croissance des revenus réels des salariés par personne occupée ; ceux des paysans doivent augmenter de 40 % « au moins». La nécessité d'augmenter les revenus paysans de sensiblement plus que 40 % a dû être comprise, mais on ne veut pas s'engager; c'est sans doute ce qui explique l'emploi de la formule « au moins ». S'il en est ainsi, l'analyse devient très incertaine, car on est contraint d'opérer avec 40 % comme prévision du taux d'augmentation de ces revenus pendant le septennat. Ces augmentations représentent bien entendu des moyennes ; nous savons qu'elles ne donnent pas un tableau fidèle ou du moins complet de la réalité. En 1956 un effort a été fait pour réduire l'éventail des gains des ouvriers et employés par l'introduction de salaires minimaux. Aux yeux des dirigeants du plan septennal, il ne s'agissait que d'un premier pas. Le salaire minimal doit être encore relevé, non pas une fois mais deux. En 1965, il doit atteindre 500-600 roubles par mois, soit une 16. Pravda, 29 décembre 1959. Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE augmentation de _71 ou 85 % par ~app~rt. au niveau de 1956, suivant les cas. Le salaire muumal le plus bas, qui constituait en 1958 34 % du salaire moyen, doit en 1965 dépasser 50 % de la moyenne. En cas de réussite, ce sera une yéritable révolution sociale. (La promesse ne doit peutêtre pas être prise trop au sérieux.) Mais a-t-on pensé à toutes les conséquences de cette promesse ? Le fait qu'on ne promette aux paysans qu'~ne augmentation de 40 % « au moins», que rien. n'indique qu'on se rende compte que les paysans, tout au moins la grande majorité d'entre eux, appartiennent aussi aux catégories très désavantagées et doivent bénéfic~er d~s !1111éliorations.. prévues pour les bas salaires, indique que _les incidences des niveaux prévus pour les salaires n'ont pas été bien comprises. La participation des différents groupes paysans aux nouveaux avantages dépendra de l'état de l'agriculture et de son évolution. Le communisme doit être édifié, ce qui, aux yeux des dirigeants, est pratiquement incompatible avec l'existence d'une agriculture privée, en particulier du bétail en propre (à l'e~ception, jusqu'à présent, de la volaille). Aujourd'hui, une autre raison milite contre l'agriculture privée. La diminution du nombre de personnes atteign~t l'âge de travailler ~b~ge à prélever de la mam-d' œuvre rurale, en depit des objectifs élevés fixés à l'agriculture; il est permis de penser que cette opération sera moins douloureuse si une bonne partie de l'économie privée, avec sa faible productivité individuelle, est liquidée pour être prise en main par les kolkhozes et les sovkhozes. Le chef du P. C. ukrainien rapporta en, décembre 1959 au Comité central 17 que les achats de vaches « sur une base volontaire » non seulement aux ouvriers et employés 18 , mais aussi aux paysans kolkhoziens avaient fait des progrès considérables en Ukraine. (Ce que signifie le « volontariat » en Russie soviétique a été expliqué par Khrouchtchev à propos de cette même question de l'achat de bétail privé.) Pour maintenir le rapport actuel des revenus paysans à ceux des catégories correspondantes de salariés, les revenus paysans devraient être augmentés d'ici à 1965 de 60 à 70 %-Ce serait là une rude tâche, mais aussi un grand succès, en cas de réussite. C'est une chose d'améliorer notablement la condition de 2 5 millions de salariés mal payés et des personnes à leur charge ; c'en est une autre de le faire pour à peu près la moitié de la population (les ouvriers et employés aux bas salaires avec en plus la masse des paysans). Comme les revenus que les kolkhoziens tirent de leur exploitation privée constituent quelque 40 % de leurs ressources et comme cette activité 17. Pravda, 23 décembre 1959. 18. Conformément au décret d'aoflt 1959 interdisant la possession de bétail dans les zones urbaines.
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