N. IASNY La population agricole achète bien entendu beaucoup moins de produits agricoles que les citadins. Mais il lui faut acheter tout le sucre dont elle a besoin. Or les coopératives ne vendirent en 1958 que 21,3 % du volume de sucre vendu par le commerce officiel 11 • ,,. La population agricole ne produit pas d'autres biens de consommation que la nourriture (à part des vêtements confectionnés à la maison avec des tissus achetés). Or les coopératives n'ont vendu en 1958 que 34,1 % de tous les biens de cette nature écoulés par le commerce officiel : ce qui implique pour la population agricole un achat bien inférieur à la moitié des ventes per capita dans les villes. Les ventes de chaussures de cuir par les coopératives représentaient moins encore, 28,8 % seulement du total de 1958. Prenons maintenant l'année pour laquelle nous disposons d'estimations officielles, 1927-28. Le revenu moyen per capita de la population rurale (compte non tenu de 2 à 2,5 millions de ruraux dont les dépenses sont d'un type urbain) n'atteignait que 38,5 % de celui de la population des villes12 • Dans ce calcul, la consommation en nature de la population rurale était comptée aux prix agricoles. Aux prix de détail, le pourcentage ne dépassait probablement guère 55. En 1929 (les données pour 1928 manquent), le salaire moyen de l'ensemble des salariés (pour l'année entière) était de 800 roubles. La moyenne était de 399 roubles pour les travailleurs des sovkhozes et des M.T.S. et de 363 roubles pour l'ensemble de la main-d'œuvre agricole, tandis qu'elle s'élevait à 957 roubles dans la grande industrie 13 • Les salariés industriels de loin les moins favorisés, ceux de l'industrie linière, avaient gagné en moyenne 550 roubles14 • Ainsi la seule question qui se pose est de savoir si les paysans gagnaient autant que les travailleurs non agricoles les plus mal rétribués : il semble que ce ne soit pas le cas. Le déséquilibre entre les revenus des salariés et ceux des paysans n'était pas particulier à l'URSS : d'autres pays à l'agriculture arriérée en étaient affligés. Ce qui est caractéristique, c'est que l'ère d'industrialisation intense qui suivit n'apporta nul remède. Si les choses s'étaient passées au gré de Staline, le fossé se serait probablement élargi entre 1928 et 1952; mais les tendances à l'urbanisation de la vie rurale ont dû mettre un terme à ce processus. Cependant, les données concernant l'enseinble des salariés font apparaître que Staline eut gain de cause. En assignant à 1928 le chiffre I oo, l'indice des salaires réels était en- 1952 égal à 70, tandis que pour les paysans il ne dépassait pas 60. Or notre propos est d'examiner II. L'Économie nationale... , pp. 724-27 et 736-37. 12. Chiffres de contr8le pour 1929-30, pp. 470-71. 13. L'Édifi,cation socialiste en URSS (1935), p. 484. 14. Ibid., p. 498. iblioteca Gino Bianco 305 non pas les revenus de tous les salariés mais ceux des catégories les plus défavorisées. Et ces derniers ont dû décliner pendant la période considérée autant que ceux des paysans. Nous avons vu qu'entre 1952 et 1958 les revenus des paysans s'accrurent un peu plus que le salaire moyen d'un ouvrier, à savoir de 55 contre 45 %-Toutefois, comparer les gains des paysans aux revenus moyens de l'ensemble des salariés n'a guère de sens, surtout lorsqu'il s'agit des salariés urbains. Le tableau change lorsqu'on ne considère que les bas salaires et une partie seulement des paysans. Les bas salaires des ouvriers et employés augmentèrent de sensiblement plus d~ 45 %, tandis que les revenus d'importantes catégories de paysans augmentaient de nettement moins de 55 % ( ou de 60 %, taux d'augmentation officiel). Le personnel commercial était probablement la catégorie salarié~ la· moins payée en 1958 : les données de L'Economie nationale de l'URSS en 1958 (pp. 708 et 762) lui attribuent un gain moyen de 6. 300 roubles par an par personne employée 15 • Un kolkhozien moyen en bonne santé n'a guère pu en gagner autant la même année. Il est donc fort probable qu'après la mort de Staline les revenus d'un grand nombre de kolkhoziens ont moins augmenté que ceux des groupes correspondants de salariés. Le total des versements faits aux kolldioziens par les kolkhozes en espèces et en nature en 1959 est évalué, à partir de sources soviétiques, à 94 millions de roubles. Pour cette même année, le nombre total des troudodni [journées de travail] gagnées fut estimé à II milliards. Comme, selon L'Économie nationale (pp. 494-95) un kolkhozien occupé avait totalisé en 1958 une moyenne de 342 troudodni, il avait ainsi touché de son kolkhoze 2.906 roubles. La même année, le salaire moyen, ouvriers et employés des sovkhozes compris, était de 9.480 roubles ; pour les salariés non agricoles, il atteignait environ 10.000 roubles. Par conséquent le gain moyen du kolkhozien, en numéraire et en nature, était au mieux égal à 30 °/4 du salaire moyen des ouvriers et employés non agricoles. Il est vrai qu'il tirait un revenu supplémentaire, non négligeable, de son lopin individuel et de so~ bétail privé. Il est donc étonnant que la question des hauts revenus des kolkhoziens ait été au centre des débats du Comité central en décembre 1959. Les soucis des dirigeants soviétiques, même s'ils ne sont qu'en partie justifiés, attestent la grande stratification des revenus des kolkhoziens. Si le gain moyen de 8>50 roubles par journée de travail en 1958 était bas, mais sans trop, certains kolkhoziens gagnaient tellement que cela retirait de la main-d'œuvre à l'industrie, tandis que beaucoup d'autres gagnaient si peu que le fonctionnement des kolkhozes en était très affecté. Seul 15. Le personnel des restaurant gagnait moins encore, mais il est probable que - légalemet ou non - il s'approvisionne gratuitement en nourriture à son lieu de travail.
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