Le Contrat Social - anno IV - n. 5 - settembre 1960

. TH. JOUFFROY la première lutte : l'esprit d'examen d'un côté l'autorité de l'autre ; la philosophie ou l'appel à la raison chez les uns, chez les autres l'appel à l'usage ; d'une part une force toute morale de l'autre une force toute matérielle. ' Mais le sang des premiers martyrs commence à intéresser le peuple à la querelle. Un sentiment de justice lui fait paraître indigne qu'on assassine un homme pour avoir dit ce qui lui paraît vrai et de bon sens. Il en vient à les plaindre et à haïr leurs persécuteurs. La puissance de l'opinion publique s'élève ; la vérité conduit à l'indignation, bientôt l'indignation contre les bourreaux attache aux doctrines des persécutés . seconde leur vérité et la fait admettre. La réali~ sation de ses doctrines devient un besoin pour un grand nombre ; la force se partage, et non seulement le vieux dogme est ébranlé dans l'opinion, il commence à être menacé dans son existence matérielle. Ce changement n'échappe pas à ses partisans. Ils commencent à revenir de leur fière confiance, et n'osent plus, devant cette force redoutable, multiplier les bûchers et les échafauds ; ils sont obligés de parler raison et de plaider leur cause devant le tribunal de l'opinion, qu'ils avaient d'abord décliné. C'est l'époque de la lutte rationnelle des deux doctrines. Mais, dans cette lutte, l'un des adversaires a sur l'autre un immense avantage, celui de n'avoir rien à défendre; celui-ci a un grand désavantage, la nécessité de soutenir toutes les parties d'un mélange où le faux s'est introduit et tient tellement au vrai, . qu'on ne saurait céder l'un sans abandonner l'autre ; sans compter que les partisans du dogme vieilli ne le comprennent plus, ou ne peuvent accorder sa primitive interprétation, qui est vraie, avec la nouvelle dont il s'agit, et qui ne l'est pas. D'un côté donc, on parle le langage du bon sens compris de tout le monde ; de l'autre, on est forcé de s'enfoncer dans une mer d'érudition d'où l'on ne saurait faire sortir rien de palpable, rien de concluant aux yeux du peuple. On le sent, et la faiblesse irritée s'emporte, se passionne ; le sophisme et l'injure remplacent le raisonnement. C'est ainsi qu'on se décrédite et qu'on perd sa cause. Après avoir été condamné comme répondant aux raisonnements par la force, le vieux dogme est condamné comme n'opposant aux bons raisonnements que des subtilités et des passions. Le peuple passe contre lui de l'indignation au mépris ; on le haïssait, il devient ridicule. Alors commence l'époque des plaisanteries. Le bon sens triomphant devient moqueur et léger; il achève par le ridicule une victoire commencée par de sérieuses raisons. Mais la rage de ses adversaires s'en accroît. Tous les intérêts sont convoqués; on leur montre l'incrédulité comme une ennemie qui les menace : si les croyances dont le pouvoir vit et par lesquelles il règne sont détruites,le pouvoirtombera Biblioteca Gino Bianco 301 avec elles, et avec le pouvoir les hommes qui l'occupent ; la puissance passera aux doctrines nouvelles ; elle sera exercée par leurs partisans ; · en un mot la révolution des idées entraînera une révolution complète dans les intérêts ; tout ce qui est se trouve menacé par tout ce qui veut être. De là une ligue puissante qui se compose de tous ceux qui tirent quelque parti des vieilles croyances et de tous ceux à qui on persuade que leur renversement changera tout et blessera leurs intérêts. Dans cette ligue, dont la peur est l'âme, il ne s'agit plus de foi ni de croyance ; il n'y a plus rien de moral : l'intérêt seul en serre les nœuds, et cependant on couvre ce vil mobile des beaux noms de morale, de religion, d'ordre, de légitimité ; on le pare de tout ce que les vieux temps ont de saint et de respectable. L'hypocrisie, l'habileté, les débris réunis d'une puissance ébranlée, mais non pas abattue, la nécessité de vaincre ou de périr, l'indifférence sur les moyens, qui naît de l'immoralité du motif, tout donne à cette nouvelle ligue une force extrême, une force d'autant plus dangereuse que ses adversaires, accoutumés à la victoire, tiennent leur ennemi pour battu, et le méprisent plus qu'ils ne l'ont jamais redouté. Une autre cause de revers s'ajoute à cette imprévoyance et à la force réelle du camp opposé. D'abord on a détruit; c'était le premier besoin. Après avoir détruit, on s'est moqué ; c'est le propre des vainqueurs. Mais jusque-là on n'a pas songé à établir, et pourtant il faut du positif au peuple et à la raison. Dans la ruine d'un dogme usé, la négation sérieuse tient d'abord lieu de foi : c'est croire quelque chose que de croire qu'une doctrine que l'on suivait est fausse ; on y met d'abord une ardeur, un zèle qui remplissent l'âme. Mais quand la chose est bien démontrée, que l'ennemi est abattu, qu'on n'a plus à faire que de rire de son absurdité, le zèle tombe faute d'opposition, et l'on se trouve à vide, détaché d'une croyance et ne tenant plus à aucune, dans une parfaite indépendance d'esprit qui flatte et à laquelle on se plaît quelque temps, mais qui ne tarde pas à fatiguer une nature dont la faiblesse ne supporte pas le doute. Dans toute révolution d'idées, le scepticisme trouve sa place, il vient pour détruire, et survit à sa victime ; ma!s il ne p~ut · tenir longtemps. Nous avons besoin de croire, parce que nous savons qu'il y a de la vérité. Le doute est un état qui ne peut nous plaire que comme l'absence d'une fausse croyance dont nous nous sentons délivrés. Cette satisfaction goûtée, nous aspirons à une nouvelle croyance ; le faux détruit, nous voulons le vrai. Or, s'il est facile, l'esprit d'examen une fois né, de détruire ce qui est faux, il ne l'est pas, le faux démontré, de trouver ce qui est vrai. Mille systèmes s'élèvent. Le parti vainqueur, uni pour abattre, se partage pour rétablir. La perspective du pouvoir pour le parti triomphant complique d'intérêts particuliers cette dispute

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