Pages oubliées COMMENT LES DOGMES FINISSENT par Théodore Jouffroy LE TEXTE de Jouffroy, dont nous proposons aux réflexions du lecteur deux extraits qui nous semblent actuels, a été écrit en 1823 et publié seulement le 25 mai 1825 dans le Globe, trois jours après l'enterrement d'Henri de Saint-Simon. Simple coïncidence... Le Globe, fondé par Paul Dubois et Pierre Leroux, n'était pas alors l'organe des saint-simoniens mais celui de la gauche libérale, attaquée et persécutée par le gouvernement de Villèle. Depuis l'assassinat du duc de Berry, la Terreur blanche régnait officiellement contre les libéraux et les républicains. Les complots carbonaristes échouaient l'un après l'autre, amenant condamnations et exécutions. L'École normale supérieure était fermée; les professeurs, et parmi eux Jouffroy, chassés de l'Université, laquelle était livrée à la toute-puissante Congrégation. La presse libérale, soumise à l'autorisation préalable, était bâillonnée. Jouffroy avait adhéré à la Charbonnerie, mais en 1823 celle-ci était à l'agonie. C'est dans la solitude qu'il écrivit ce texte qui devait connaître un grand rayonnement dans les années 30 et 40 du siècle dernier. Sous sa forme abstraite, sans faits ni dates, il y faut voir après Sainte-Beuve « le manifeste le plus explicite et le plus général assurément qui ait formulé les espérances de la jeune élite persécutée » ( Portraits littéraires) . Sans méconnaître leur rôle dans le passé, Jouffroy s'en prend au dogme catholique et à la monarchie cléricale des Bourbons qui sont pour lui des survivances anachroniques privées désormais de toute vie spirituelle. Il se rapproche ainsi de Saint-Simon dont il reprendra QUAND un dogme touche à la fin de son règne, on voit naître d'abord une indifférence profonde pour la foi reçue. Cette indifférence n'est point le doute : on continue de croire ; pas même une disposition à douter; on ne s'est point encore avisé que le doute fût possible; mais c_'estle l?ropre d'1;1ne croyance qui n'a plus de vie et qui ne subsiste que par la coutume. Dans les temps éloignés o~ le dogme prit naissance, on l'adopta parce qu'tl parut vrai ; on croyait alors et on savait pourquoi : Biblioteca Gino Bianco ultérieurement les concepts historiques sur les périodes critiques et les périodes organiques ; mais il en diffère radicalement par son refus d'analyser les faits en dehors des individus qui composent la société. Sa méthode purement psychologique s'apparente à celle de Maine de Biran qui devait mourir un an plus tard. On a qualifié Jouffroy d'éclectique ; mais son éclectisme, fait de méfiance vis-à-vis des grands systèmes prétendant à une explication globale et absolue de l'univers et de l'humanité, s'oppose à l'électisme satisfait et superficiel de Victor Cousin. Il est probable qu'en 1825 un souci de prudence avait conduit Jouffroy à limiter son texte à des considérations abstraites ; ses écrits postérieurs montrent qu'il envisageait de la même façon tous les dogmes politiques ou religieux nés de circonstances historiques. Il s'éleva dans la suite contre le « dogme du patriotisn1e » et contre les religions imaginées par Enfantin et Pierre Leroux, bien que son néo-christianisme purement moral ait été très proche de celui de Saint-Simon. Salué en 1825 par Pierre Leroux et Sainte-Beuve comme le « révélateur » d'une génération nouvelle, il dut subir leurs attaques après 1830 pour son acceptation résignée et maussade du régime de Louis-Philippe. Inquiet des révoltes sociales, renonçant à leur donner une signification, il préféra se réfugier dans une recherche introspective du Moi, à quoi une mort prématurée devait mettre un terme. En même temps, Pierre Leroux faisait de l'article du Globe le manifeste du socialisme romantique. la foi était vivante. Mais les enfants des premiers convertis commencèrent à admettre le dogme sans vérifier ses titres, c'est-à-dire à croire sans comprendre ; dès lors, la foi changea de base, et, au lieu de reposer sur la conviction, s'assit sur l'autorité et tourna en habitude. Transmis ainsi de génération en génération sous des mots consacrés, et toujours moins compris à mesure qu'il s'éloigne davantage de sa source, le moment vient où le dogme ne gouverne plus qu'en apparence, parce que tout sentiment de sa vérité est
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