Le Contrat Social - anno IV - n. 5 - settembre 1960

298 regard sur les émeutes et les révolutions, sur les fermentations qui secouent les grandes villes, SUI les furieuses batailles sociales qui s'y déroulent dans le brouillard ou la nuit... Michelet, Carlyle ont pressenti qu'il y avait là matière à toute une météorologie des passions collectives; Hugo, Dickens ont écrit de fortes pages sur les troubles de Londres et de Paris. Tolstoï était digne d'aller plus avant dans l'étude de la vérité pathétique, tant du moins que sa pénétration intuitive n'aurait pas été compromise par des partis pris moraux. Notre temps a consacré, consacre continuellement des milliers de volumes, d'enquêtes, d'analyses, de théories à la psychologie des foules, à la manœuvre morale, à la tactique et à la stratégie des révolutions, à la guerre subversive, à toutes les formes de suggestion méthodique. Du fait que .l'un des principaux maîtres de Lénine fut Clausewitz, n'importe quel Machiavel de souspréfecture croit possible d'appliquer des recettes infaillibles à la conduite des masses. Dans l'ensemble, les résultats de tant d'efforts et de tant d'illusions ne sont pas sans ressembler à ceux que l'on enregistre en bien des domaines de la vie scientifique. La prétention d'édifier une sociologie qui soit vraiment une physique des sociétés, de construire une économie politique exhaustive, d'ébaucher ce qu'on nomme aujourd'hui une polémologie, avorte misérablement ; on n'est pas sorti des nuées ou du verbiage et la théorie marxiste serait elle-même en pleine déroute si elle n'avait pris le parti de s'imposer comme un credo autoritaire. Mais une fois de plus les praticiens, les techniciens vont de l'avant sans se préoccuper des embarras de la pensée spéculative ; disposant Biblioteca Gino Bianco ANNIVERSAIRES d'un immense champ d'expériences et de moyens matériels formidables, appelant à leur aide des forces coercitives que le parti ou l'État mettent à leur disposition, ils tympanisent et lavent les cerveaux, créent des idées fixes, alimentent et orientent des passions collectives, décuplent la tyrannie des instincts. Ils sont l'armée spécialisée de la guerre froide, de la guerre des nerfs et des phobies. Que ce soit pour notre présent et notre avenir d'une importance primordiale, il n'est que temps de s'en rendre compte. On voit alors que cette diabolique entreprise, qui ne tient qu'aux résultats concrets et ne veut savoir que ce qui lui est utile, agit tout naturellement de la manière la plus brutale, la plus grossièrement simplificatrice ; elle déforme l'homme pour le mécaniser ; elle ramène la foule à l'élémentaire afin d'en faire, en toute rigueur, une masse propulsive, un instrument, une arme. On voit aussi que dans la lutte· des propagandes les Occidentaux sont affectés d'un complexe d'infériorité; ils ne peuvent se dispenser tout à fait de croire à la raison et à la personne humaine, ils sont gênés par le meilleur de _leur culture. Il_leur faudrait donc à la fois mieux comprendre la vie grégaire et savoir toucher les ressorts qui la déterminent sans l'avilir pour autant. A ce très difficile problème, l'intelligence, la prescience de certains maîtres de la littérature mondiale peut apporter de précieux éléments de solution et il importait de montrer que Tolstoï fait légitimement partie de leur petit groupe. LÉON EMERY. ,

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