M. COLL/NET trop tard, que le régime anglais est beaucoup trop conservateur et qu'il ne peut plus s'acclim1ter en France 37 que sous fonne de caricature. La Chambre des pairs a, en Angleterre, une origine et une continuité historiques qui en font une force réelle. En France, son équivalent ne sert qu'à la survie artificielle d'une noblesse qui serait liquidée sans les libéralités du roi. Tel qu'il fonctionne, le régime parlementaire est bâtard parce qu'il résulte d'un compromis provisoire entre les classes ; mais il est susceptible d'être perfectionné et utilisé pour préparer l'avènement de la société industrielle 38 • Saint-Simon ne s'intéresse pas plus aux formes constitutionnelles qu'aux droits de l'homme, mais il est guidé par une idée simple sur laquelle il fonde sa stratégie politique : il faut qu'il y ait identité d'idées, d'intérêts et de sentiments entre le peuple et les organes législatif et exécutif. Cette identité résultera logiquement du régime industriel, d'où seront éliminés noblesse, clergé et propriétaires oisifs. Les réformes utiles doivent donc avoir pour effet de transformer le Parlement à l'image de la nation, dont l'écrasante majorité est composée d'industriels 89 et une infime minorité de nobles et d'oisifs. Rendre l'appareil politique homogène à la nation, c'est en éliminer, avec les vieilles classes féodales, les nouvelles féodalités oisives qui vivent de la discorde : légistes, avocats, militaires, produits de la Révolution et de l'Empire, et les remplacer par les classes industrielles, - à condition toutefois que celles-ci aient acquis la conscience positive _deleurs intérêts. La Charte de 1814 lui paraît un instrument utile puisqu'elle admet à l'électorat les industriels patentés et qu'elle fait voter le budget par les « Communes » (la Chambre des députés). Saint-Simon se propose deux tâches l'une est la création de la morale positive dont nous avons déjà parlé; l'autre est d'obtenir dans les << Communes » une majorité d'i.ndustriels indépendants sinon hostiles aux libéraux, lesquels appartiennent à la « féodalité bonapartiste». Telle est la voie réformatrice vers la future société industrielle. Elle n'est pas la même en France et en Angleterre. En Angleterre, le monarque est sans pouvoir de décision; il faudra donc que la noblesse s'industrialise - ce qu'elle commence à faire dans son intérêt - et que soit supprimée la corruption électorale. En France, au contraire, il 37. Du système industriel, XXIII, p. 54• 38. << Fortifier l'opinion transitoire à faire considérer le gouvernement parlementaire comme un passage indispensable vers le régime industriel et la royauté comme un élément nécessaire du gouvernement transitoire » (L' Industrie, XIX, p. 22). 39. Rappelons ici ce que Saint-Simon entend par << industriel » : cr un homme qui travaille à produire ou à mettre à la portée des différents membres de la société un ou plusieurs moyens matériels de satisfaire leurs besoins ou leurs goûts physiques» (Catéchisme des industriels, 1er cahier, XXIII, pp. 2-3). iblioteca Gino Bianco 293 faut liquider la noblesse, devenue largement anachronique, et rapprocher le roi des industriels. Si cette union s'était réalisée en 1789, c'eût été la solution positive à la crise politique et l'on eût évité les catastrophes qui suivirent. Dans cette opinion, on discerne nettement une résurgence des idées physiocratiques que SaintSimon avait nourries dans sa jeunesse. Vers la société industrielle LE ROI et les industriels doivent s'unir dans la compréhension de leurs intérêts réciproques. C'est même, pour le roi, la seule chance de n'être pas balayé. Aussi Saint-Simon accable-t-il Louis XVIII de lettres où il l'adjure de devenir un Louis XIV moderne, exempt d'esprit de conquête mais docile à un nouveau Colbert, représentant des manufacturiers et des cultivateurs. Il le met en garde contre ses deux ennemis : la noblesse émigrée, qui peuplait la «Chambre introuvable », et la gauche républicaine, ou bonapartiste, qui veut son renversement et la renaissance de la guerre européenne. D'un autre côté, Saint-Simon adjure les industriels de ne plus emboîter le pas aux libéraux, dont les meneurs sont les généraux bonapartistes, les légistes, les rentiers, tous les bourgeois qui ont profité de la Révolution et de l'Empire, et de ne plus les enrichir par une« vanité mal entendue ». Mais il ne veut pas pour autant d'une révolution populaire. Il affirme tirer de l'expérience révolutionnaire la preuve que le peuple en mouvement ne crée rien et que, dans le passé, il n'a été qu'un bélier destructeur, parfois habilement manié par les légistes et les bourgeois, parfois accédant au pouvoir pour son propre compte sans se révéler capable d'organiser une société40 • Le peuple ne peut agir utilement que sous la direction des industriels, ses chefsnaturels 41 • La transformation se fera donc non par le peuple, qui doit rester « extérieur et passif» 42 , mais par les élites sociales avec l'appui de la monarchie, et avec une lénteur suffisante pour éviter toute résistance cristallisée. Saint-Simon s'inspire du principe de continuité, auquel le transformisme de Lamarck- a donné un renouveau biologique ; il se refuse même, dans l'immédiat, à vouloir modifier la Charte ou le cens électoral. C'est en payant leurs mille francs d'impôt annuel que les industriels les plus aisés, prenant la tête des masses laborieuses, doivent conquérir le Parlement. Une réforme des baux fonciers, par exempl~, aurait fait du fermier un 40. cc La classe ignorante s'empare de tous les pouvoirs et par son ineptie vient à bout de constituer une famine au milieu de l'abondance » (Mémoire sur la science de l'homme, XL, p. 194). 41. « Le peuple n'est entraîné au désordre que lorsqu'il quitte ses chefs naturels, les industriels, pour suivre des chefs militaires ou légistes » (Du système industriel, XXI, p. 212). 42. L'Organisateur, XX, p. I 58. •
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