Le Contrat Social - anno IV - n. 5 - settembre 1960

une telle société « la lutte pour la liberté serait un combat de Don Quichotte n 26 • L'association, qui, chez Charles Fourier, représente la garantie de la liberté, le terrain idéal pour l'épanouissement des passions, n'est ici qu'un synonyme de l'intégration de l'individu à la masse. La division du travail, nécessaire à la production, ne s'exprime plus dans des rapports individuels mais dans les rapports de chacun à l'ensemble organisé. Saint-Simon ne connaît, dans l'homme, que 1~ producteur, ce que nous appelons un être foncttonnel, dont la sociabilité est liée à son utilité et dont les initiatives, les jugements euxmêmes, s'ils ne sont pas des prérogatives de la fonction exercée, sont des facteurs de trouble po~r la cohésion sociale 27 • Il ne s'agit donc point de pos~r la liberté comme un principe absolu de droit naturel, mais comme un élément de droit positif envisagé sous l'angle exclusif des intérêts de la production, le seul conforme au progrès de la civilisation et au perfectionnement des organisations 28 • La liberté envisagée comme un droit naturel est située en un moment de l'histoire, celui de la période critique ; son rôle est alors de hâter la décomposition du système organique antérieur, devenu anachronique. La théorie des droits de l'homme, imaginée par les légistes du XVIIIe siècle qui se considéraient comme les défenseurs des gouvernés face à un gouvernement d'essence féodale périmée, a été « une application de la haute ~éta~hysique à la haute jurisprudence » 29 • La liberte ~ eu W?-evaleur ~e destruction remarquable quand il fallait en termmer tant avec la servitude des gouvernés, prosternés devant les << bienfaits » du pouvoir, qu'avec l'outrecuidance des gouvernements considérant les nations comme leur patrimoine 30 • Passée cette époque, elle n'est plus qu'une incommode abstraction. La souveraineté reste toujours une abstraction qu'elle émane de la grâce de Dieu ou de la volonté gé~érale. Les savants et les producteurs ne con- ~at~sent que la souveraineté des lois de la nature ils ignorent celle qui consisterait « en une opinio~ arbitraire érigée en loi par la masse » 31 • Le droit démocratique? ~onféré à ~haque citoyen, de s'occupe; de politique, parait aussi absurde que de le declarer apte .a~x mathématiques supérieures. ~e suffrage cens1ta1ren'a aucune valeur de sélection tant que la richesse ne dépend pas de la 26. Du système industriel, XXI, p. 15. 27. « .L'idée. vagu~ et ~étaph~sique de liberté telle qu'elle est en ctrculatton au1ourd h~•,. s1 on continuait à la prendre pour base des doctnnes politiques, tendrait éminemment à gêner l'action de la masse sur les individus » (lbi'd., p. 16). 28.. « _.~Ile. [la libe~é] se:ait_ contraire au développement de _lac~vilisauon et à 1 organ1sat1on d'un système bien ordonné qw exige que les parties soient fortement liées à l'ensemble et dans sa dépendance » (Ibid., p. 16). 29. Ibid., p. 83. 30. Cf. L'Organisateur, XX, p. 186. 31. Ibid., p. 198. Biblioteca Gino Bianco ANNJVERSAIRBS capacité 32 • L'admission de tous à l'exercice d'un pouvoir << arbitraire », Saint-Simon la nomme « le dogme de l'égalité turque» 33 et il lui oppose l'égalité cc industrielle », qui permettrait à chacun d'utiliser au mieux ses capacités naturelles, quelles que soient ses origines sociales. Il souligne, non sans raison, l'étroite relation existant entre le principe démocratique et l'idée métaphysique qu'il n'est pas nécessaire d'acquérir des connaissances spéciales pour faire progresser les lumières · ce qui revient à dire que les sciences, par leur~ exigences, sont incompatibles avec leur discussion démocratique. Il suffira donc que la politique cesse d'être conjecturale et devienne positive pour qu~ disparaissent l_es divers .modes de suffrage, un_1verselou restremt à la richesse. Une oligarchie de savants ou de prêtres, aptes à comprendre les lois politiques, deviendrait, à l'image du sacerdoce égyptien, la conductrice de la société 34 • La hiérarchie politique serait alors un reflet de la hiérarchie industrielle fondée sur la division des tâches. Critique du parlementarisme ~N A!TAQUANT 1~ liberté_ et l'égalité politiques, Samt-S1mon devait aussi porter sa critique co~tre le régime parlementaire. L'apologie abstraite du parlementarisme anglais, qu'il veut généraliser à l'Europe occidentale en 1814, ne doit pas être jugée dans un esprit absolu. . ~ans La Réorgan~sationde la société européenne, t1 tient pour acquis que, dans les monarchies ab~olues, 1~ régime p~rlem7n:taire << est l'organisation sociale la moins v1c1euse dans l'ancien système » 35 ( souligné par nous). La cause en es~ que ce régime est la forme politique où s'exprime ouvertement la décomposition de la vieille société. Bâtard, du fait qu'il cherche à équilibrer les forces féodales, noblesse et clergé, avec celles dt:s. industriels, il est lié à la durée de la période critique, comme transition historique entre le système théologico-féodal et le système industriel 36 • Saint-Simon aurait voulu qu'en 1789 l' Ass~mblée . constituante adoptât le système anglais ; mats, trente ans après, il juge qu'il est 3~-. « Le droit_ de s'occuper des affaires publiques sans cond1t1on détermmée de capacité, conféré en théorie à tout citoyen comme un droit naturel (...) est la preuve la plus complète et la plus palpable du vague et de l'incertitude où so!1t encore' plongées les idées politiques » (Du système industriel, XXI, p. 16). 33. Ibid., p. 17. , 34. « L?rsque la J?Olitique sera montée au rang des sciences d observation, ce qw ne saurait être aujourd'hui très retardé la culture de la politique sera exclusivement confiée à un~ cl~sse sp~ciale de savants qui imposera silence au pariage (sic) » (Ibid., XXI, p. 16). 35. L'Organisateur, XX, p. 45. 36. « _En Angleterre comme en France et en gén&al dans to~te l'Europe occidentale, le régime parlementaire ne s~u_rait être le régime définitif et ne peut que servir de trans1uon vers le système industriel > (Du systhne indrutrlel, XXII, p. 195).

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