Le Contrat Social - anno IV - n. 5 - settembre 1960

M. COLLINET Positivisme et révélation ' LE CULTE prôné par Saint-Simon s'inspire des cultes théophilanthropiques qui obtinrent un certain succès sous le Directoire ; c'est le culte de l'homme s'adorant lui-même dans ses créations les plus représentatives. Lorsqu'il fait de la gravitation universelle la loi de Dieu et l'explication finale de tous les phénomènes, S~int-S~ll?-onse montre cons~quent avec sa conception religieuse. Opposant la demonstration à la révélation, il est hostile à toute idée animiste ou personnaliste de la divinité. Dieu représente un principe de coordination dans la nature et dans la société, celle-ci faisant d'autant plus p,_artiede celle-là. qu'il l'~lève à la ~ignité d'un Etre vivant 20 • Dieu est immanent a cette société où se lient indissolublement les aspects physique et moral de l'~omme, ré~uits, à un dosage du solide et du flu1d~, ~e, dern1~r ~tant la cause des phénomènes cons1deres ord1na1rement comme surnaturels ou divins. M1is Saint-Simon n'est pas seulement !e. fon~ateur du po~iti~isme! l'initiateur d'une religion immanente ; Il aime a se présenter comme un illuminé, utilisant la révélation comme argument et prétendan~ entrer en relation avec un Dieu personnel dont Il est le prophète. Dieu lui annonce qu'il es_tprêt à l?ardonner à la descendance d'Adam s1 elle dey1~nt positiviste, se plaint des i:ratiqu~s de l'Eglise catholique et lui apprend le role d1v1nque Newton · 1· . l h 21 doit remp 1r parmi es ommes ... La vie littéraire de Saint-Simon se situe entre deux « illuminations >> : si la révélation prélude à ·son œuvre elle la termine vingt-trois ans plus tard dans Le Nouveau Christianisme, laissé inachevé par la mort. Dans cet ultime _o~vrag~,1?ieu n'es~ plus la loi unique perso~alis~e qui s adresse a lui dans les Lettres de Geneve ; 11prend un accent évangélique que Saint-Simon tente ~'a~a~game: au positivisme~ en rédui~ant_~e chr1sttan1sme a une seule maxime de sohdarite : « Les hommes doivent se conduire en frères à l'égard les uns des autres 22 • » Le dogme enseigné par le nouveau clergé ne rappellera aucun~ tran_scenda~,ce; son rôle sera de régler les relat~o~s Journah~~e~ des individus et surtout de « diriger la soc1ete vers le grand but d_e l'amé~oration morale et physique la plus rapide P?Ss!ble du ~ort de ~a classe la plus pauvre » 23 • L existence ~ un prol~- tariat que Saint-Simon, dans. les anne~s 2~, voit grandir en nombre et en m1s_ère,mot~ve 1appel à l'amour évangélique, dont 11veut c1me1?-terla société industrielle contre le facteur d~ d1ssol~- tion qu'elle contie~t. La société organique doit 20. De la physiologie sociale, XXXIX, p. 179. 21. « Apprends que j'ai placé ~ewton à mes côtés, que je lui ai confié la direction de la lunuère et le co~mande~ent des habitants de toutes les planètes », Lettres d un habitant de Genive (OC, t. I, p. 33). 22. Le Nouveau Christianisme, XXIII, p. 108. 23. Ibid., p. 109. Biblioteca Gino Bianco • 291 être incompatible avec les conflits de classe, si bien que la morale chrétienne apparaît dans son œuvre comme la forme subjective, sentimentale et éminemment communicable de cette morale objective fort peu chré~~ennequ'il n,omme ai~eurs l'hygiène sociale et qu d rapporte a ses maitres, Helvétius et Bentham. En dépit de cette a~apt~t~o~ positiviste? S~!ntSimon éprouve le besoin utilitaire ou affectif d etre l'oracle d'un Dieu personnel et ~ransc~ndaJ?-t 2 ~. Il ne s'agit pas là d'une simple presentat1on ~lt~eraire car dans la préface du Nouveau Christianisme, plévoyant la critique inspirée d'un positivisme conséquent (qu' Auguste Co:n:it~ne ma~q,ua pas de lui faire), il se refuse à cons1derer l~~ 1d,ees sur la divinité et la révélation comme perimees, valables seulement pour des époq~es d'ig~orance et de barbarie et il voue au mépris le « rire voltairien » de se~ contradicteurs ... Il ne faudrait pas en déduire systématiquem~nt que Saint~~imon se croyait le prophète d'un Dieu personnalise com1?e les saint-simoniens l'ont proclamé pour les besOIJ?-S de leur secte : les biographes témoins de sa vie ne l'ont pas remarqué. Il croyait à son génie et au rôle exceptionnel qu'_il,é~ait aprelé à jouer dans l'histoire de l'human1te ; 11pensait sans doute être le Newton des sciences humaines et inaugurer le règne de la science unique et d~fini~iye. Très conscient de l'insuffisance de son erud1t1on dans le domaine des sciences particulières, il s'entourait de collaborateurs spécialisés dont les plus célèbres furent Augustin Thierry et Auguste Comte, tout en se réservant le soin de la synthèse. A sa manière, il fut cependant le messie d'un royaume de Dieu sur la terre, royaume scientifique où la chair aurait été réhabilitée. ~1: ~e sens, on trouve une parenté entre son positivisme et les aspirations millé~a~i~tesdes XIIIeet xvI,~siècles. Mais si, pour les heres1arques du ~~ntheisme? le Paraclet faisait de chaque homme l egal de Dieu, chez Saint-Simon ou chez Auguste Comte la doctrine divinisera seulement l'humanité. Ignorant le salut per~onnel, c'est à. q~?i ~e rédui~ 1~. Nouveau Christianisme. Pourquoi s interesser a l immortalité de l'homme s'il n'est qu'un organe du Grand Être de l'Humanité ? · Critique des droits de l'homme SAINT-SIMONne s'intéresse pas davantage à l'autonomie de l'individu dans sa vie temporelle. Tout système p~lit~que supp<:se un but coll?-~unautaire et celu1-c1ne peut etre, au xrxe s1ecle, que « la' production des choses utiles » 25 ; dans 24. « Princes, écoutez la voix de Dieu qui ,vous parl_c par ma bouche» (Ibid., p. 192). Rappelons qu en ?808 ~1 écrivait : « Je crois que la force d:s. choses veut qu 11Y.rut deux doctrines distinctes : le phys1c1sme pour les gens mstruits et le déisme pour la classe ignorante », Introduction (OC, t. I, p. 214). 25. L' Industrie, XVIII, p. 186.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==