Le Contrat Social - anno IV - n. 5 - settembre 1960

M. COLL/NET organisés est dans un perfectionnement de leur organisation physiologique, il cherche dans l'histoire de l'espèce humaine une analogie à celle des individus et, faute de mutations biologiques chez l'homme, il s'attache à ces mutations morales qu'ont été les bouleversements religieux. Divisant l'histoire en quatre grandes époques caractérisées par l'idolâtrie, le polythéisme, le monothéisme et le positivisme, il se place luimême, comme Socrate, à une charnière, car le passage du polythéisme au monothéisme est analogue à celui des sciences multiples à la science unique qui ouvrira l'ère positiviste. Ces passages se manifestent par des crises où l'homme se. cherche une nouvelle raison de vivre avec luimême et avec ses semblables ; mais ces crises sont des perfectionnements de l'espèce humaine, une conséquence de la « loi du progrès » qui ne peut s'accommoder de la stagnation spirituelle. Après chaque crise la religion change de nature; elle avait besoin de révélation quand l'imagination l'emportait sur la raison ; aujourd'hui, avec les progrès scientifiques, elle a besoin de démonstration; elle devient simplement l'idée la plus générale, synthèse unique des connaissances positives. L'aspect transcendantal des religions passées et présentes apparaît donc à Saint-Simon non comme leur substance réelle, mais comme une excroissance provisoire due à la faiblesse des connaissances humaines. A ses yeux, la religion cesse d'être une aspiration individuelle étrangère ou extérieure aux cadres sociaux, le désir d'une conscience de se conserver dans l'éternité ; elle devient la volonté que manifeste une société de se justifier et de se conserver contre les périls qui l'assaillent. Cela implique l'unité religieuse. Si celle-ci vient à manquer, la société se brise, comme sous l'Empire romain ou dans l'Europe du xvie siècle. Avec elle se rompt l'unité du corps sacerdotal, gardien du dogme : c'est la « période critique ». Quand l'unité du sacerdoce est assurée, c'est-à-dire quand celui-ci détient le monopole des activités spirituelles, la société est organique et constitue un système politique. D'où cette formule, clef de la sociologie saint-simonienne : « L'institution religieuse, sous quelques aspects qu'on l'envisage, est la principale institution politique 10 • » Les deux fonctions de la philosophie IL N'Y A PAS coïncidence entre la naissance des idées religieuses ou philosophiques et celle des sociétés. Contrairement à ce qui se passe chez Marx, les idées devancent coutumes et cultes, car elles doivent d'abord s'emparer d'une élite qui, devenant corps sacerdotal, sera la tête pensante de la société à venir. Il n'existe pas de société solidement organisée qui ne soit l'application d'un système philosophique ou religieux suffisam10. Mémoiresur la sciencede l'homme, p. 158, Biblioteca Gino Bianco 289 ment cohérent 11 • L'homme ne peut donc pas être assimilé à une planète sur sa trajectoire, sinon à une « planète » qui, connaissant les lois de son mouvement et usant de forces extérieures, pourrait modifier cette trajectoire ... Le déterminisme des lois n'implique pas la monotonie de l'évolution. Dans le cycle des périodes organique et critique, le génie de l'homme imaginant ou connaissant intervient, tant pour modeler la période organique que pour justifier la période critique ; s'insérant dans la continuité des phénomènes, celles-ci acquièrent ainsi un sens différent. L'harmonie des sociétés organiques est le fait des hommes, non de la nature. Qu'elle se dégrade, et les germes d'une période critique apparaissent, sans atteindre obligatoirement les consciences. Ainsi, dans le système théologique et féodal, la décadence devait surgir des rivalités entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel. Par cette faille, l'avènement des communes et la pénétration de la culture arabe devaient, au x1e siècle, à l'apogée du Moyen Age chrétien, annoncer son irrémédiable déclin. A partir du xve siècle, les découvertes techniques et les grandes hérésies sonnent le glas de la féodalité militaire et de l'unité théologique. Le champ est libre pour la période critique, où la double offensive des sciences devenues positives et des systèmes métaphysiques bat en brèche le vieil édifice médiéval. Le sceptre de la culture échappe au clergé pour revenir à la classe montante des industriels et des savants laïcs qui ont mis leur génie, non dans les vaines conquêtes militaires, mais dans la compréhension et l'exploitation de la nature. L'avènement d'une période critique ne saurait être imputée à un système préconçu ; il résulte de convergences multiples entre des forces sociales, des circonstances historiques et des innovations intellectuelles qui ne procèdent pas d'un ensemble organisé ; il est un crépuscule pour les uns, une aurore pour les autres. La philosophie cherche une explication cohérente pour donner forme à la destruction de la société organique et elle transforme les facteurs de dissolution en principes éternels. Mais son rôle s'épuise quand ces principes en viennent à aggraver le chaos des forces et des idées. Alors apparaît l'urgence d'une autre philosophie; dont la fonction est d'élaborer le nouveau système nécessaire à la survie sociale, mais qui ne peut plus se réfugier dans les créations intuitives des temps passés ; elle doit tenir compte de la continuité historique, de la « loi du progrès », qui donnent aux ·événements leur nature irréversible. Cela amène Saint-Simon à ridiculiser les prétentions de la noblesse et du clergé à restaurer l'Ancien Régime, et à dénoncer l'utopie des conceptions théocratiques de Bonald et de Maistre. 11. « Tout régime est une application d'un système philosophique, et par conséquent il est impossible d'instituer un régime nouveau sans avoir auparavant établi le nouveau système philosophique auquel il ç\oit correspondre ,, (L' Industrie, XIX, p. 23).

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