Le Contrat Social - anno IV - n. 5 - settembre 1960

286 fédérale, tous les États qui n'étaient pas conformes au principe national ont été balayés. Mais la marche victorieuse du nationalisme va bien au-delà des remaniements de frontières. Au moment qu'elle commence, c'est un titre de gloire que de se proclamer cosmopolite ; quand elle s'achève, c'est devenu un qualificatif infamant évité de ceux-là mêmes qui se connaissent tels. Vers la fin du x1xe siècle, il y avait encore des courants politiques assez méfiants à l'égard du nationalisme ; il s'agissait de ces courants qui étaient encore dans l'opposition à l'intérieur des différents États et représentaient des groupes sociaux commençant à peine à entrer dans la vie politique active : les gauches démocratiques qui craignaient l'excessif pouvoir des militaires; les socialistes à qui, pour refuser d'acçueillir leurs exigences de justice sociale, on opposait les nécessités supérieures de la nation ; les démocrates-chrétiens qu'inquiétait le caractère pseudo-religieux de la nation. De ces courants, aujourd'hui, il n'y en a plus aucun qui n'ait, d'une façon ou de l'autre, acceptéle schéma de l'Etat national et qui ne mette en avant, avec onction et componction, ses sentiments nationalistes et patriotiques. A ses débuts l'État national, tout en faisant sauter les barrières intérieures et en réalisant l'unité économique de ses territoires, tenait aussi son pays largement ouvert aux trafics mondiaux, aux migrations, aux mouvements internationaux de capitaux et de services. Peu à peu sont entrés en scène les droits protecteurs, les contingents, les contrôles monétaires, la chasse aux capitaux étrangers, les freins à l'émigration, les privilèges des travailleurs nationaux, les législations sociales différentes, les planifications nationales. La vie économique qui, selon les prévisions ingénues formulées par les libéraux à l'aube du x1xe siècle, aurait dû conduire à l'unité du monde, se nationalisa et devint une des armes essentielles de la puissance nationale. L'éducation populaire qui, par une nécessité intrinsèque de la société moderne, n'a cessé de s'étendre et est devenue une branche importante de l'activité de l'État, a été orientée tout entière vers l'exaltation de la nation. Elle ne s'est pas arrêtée devant les plus grossières contrefaçons de l'histoire et des traditions et est parBibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL venue à ce résultat que, pour les nouvelles géné- _ rations formées dans son climat, la nation, avec . ses prétentions à avoir le pas sur toute autre valeur politique, apparaît comme quelque chose - d'absolu, et occupe dans la conscience des zones antérieurement réservées aux va-leursde la religion et de la raison. Les guerres ont cessé d'être senties et voulues par les seuls princes, ce qui avait cet avantage qu'elles étaient modestement conçues en ·vue de conquêtes marginales, pour l'acquisition de telle ou telle province, de telle ou telle colonie. Elles sont de plus en plus devenues des guerres totales, où la nation tout entière a participé, d'abord sentimentalement, puis, de plus en plus, physiquement. Exprimer un désaccord, c'était se faire considérer comme un traître, se rendre passible des peines les plus graves. Des haines effroyables et obtuses se sont développées contre la nation adverse tout entière, envers qui on ne se privait ni de calomnies ni de malédictions, et dont on désirait l'humiliation, la mutilation, parfois même la destruction. Dans la mesure où il proclamait dans chaque pays la souveraineté et la supériorité de la nation qui y vivait, ce principe portait en lui l'idéal de la transformation de la nation elle-même en une horde disciplinée et unitaire plus animale qu'humaine, et menait par suite à la suppression de la démocratie et de ses libertés. Après s'être manifestée ici et là sous des formes incomplètes, cette conséquence s'est à la fin manifestée à plein dans le fascisme et le nazisme. Comme en fin de compte le nationalisme transformait l'Europe en un ensemble de communautés fermées, en flagrante contradiction avec le développement de la science et de l'économie, qui exigeaient des communautés de plus en plus ouvertes et complexes, il en est résulté un désordre international croissant. Pour sortir de ce désordre, il ne semblait pas qu'il y eût d'autre issue que de voir la nation la plus forte tenter de soumettre à son empire, tout autour de soi, les autres nations - ce qui était à la fois le triomphe final du principe national pour les nations les plus fortes, et pour les plus faibles sa liquidation. (Fin au prochain numéro) AL TIERO SPINELLI. ,

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