Le Contrat Social - anno IV - n. 5 - settembre 1960

A. SPINELLI victoires, consista dans la destruction systém1tique de tout ce qu'il y avait de supranational dans l'expérience du Saint-Empire romain germmique et de tout ce qui en avait subsisté, après sa disparition, dans la Confédération allemande et dans l'Empire austro-hongrois. Dans les formes qu'elles affectaient, ces structures politiques étaient condamnées, parce qu'elles étaient liées à l'ancien régime monarcho-nobiliaire et à tous ses aspects politiques et sociaux au point de n'être plus capables de rénovation. M1is le principe démocratique, précisément sous sa forme la plus cohérente et la plus souple, c'èstà-dire sous sa forme fédérale, aurait pu maintenir les diversités nationales sur le plan des autonomies locales ; il ignorait la nécessité de rassembler les nations en •corps politiques compacts ; et il était par là capable de recueillir, sauvegarder et perfectionner cette idée d'une grande communauté des nations qui avait été pendant des siècles le rêve irréalisé du Saint-Empire. Il ne manqua pas de voix pour s'exprimer dans ce sens, depuis von Stein et Frantz jusqu'à Proudhon et Cattaneo, mais le modèle français de l'État national se révéla plus fort et plus séduisant. La démocratie, en Europe, ignora à tel point son moment fédéral qu'aujourd'hui on ne se rend presque plus compte de ce qui est nécessaire à l'expérience démocratique dès qu'elle atteint des dimensions d'une certaine ampleur ; et l'on croit communément que le fédéralisme est seulement un ingrédient ajouté - utile peut-être, peut-être aussi dangereux, car il menace l'unité nationale s'il s'agit de fédéralisme européen, mais de toute façon un ingrédient qui n'est pas strictement nécessaire. Les fondateurs des démocraties nationales des x1xe et xxe siècles, de Mazzini à Bénès, pensaient évidemment que les rivalités et les guerres européennes étaient dues à l'ambition des princes, et que les nations, une fois revêtue la forme d'États démocratiques souverains, vivraient dans une paix fraternelle. M:1is si c'était là pour eux une aspiration dont il était beau de parler dans les petites sociétés de conspirateurs qui se réunissaient en Suisse, à Paris et à Londres, cette aspiration n'était suivie d'aucun programme pratique : ce pour quoi ils conspiraient et combattaient, ce que d'une façon ou de l'autre ils contribuaient à former, ce n'était pas la communauté des nations libres, mais l'éclatement progressif de l'Europe et sa transformation en un vaste ramassis de grands et de petits États nationaux nécessairement enfermés dans leur souveraineté, nécessairement divisés. Sur ce chemin erroné où se perdait la démocratie, le premier pas fut l'unific1tion nationale de l'Italie; le dernier, un demi-siècle plus tard, la pulvérisation de l'Empire austro-hongrois. La troisième défaite grave de la démocratie fut celle que lui infligèrent Bism1rck et ses successeurs. Le chancelier prussien découvrit qu'il était possi~le de ruiner l'alliance entre la démocratie et le nationalisme et de nouer celle du Bibroteca Gino Bianc 285 nationalisme avec la volonté de puissance d'un État fortement militariste. Pour Bismarck il s'agissait encore de mettre le nationalisme allemand au service de l'État prussien, et l'Allemagne n'était pour lui que l'appendise impérial de la Prusse ; mais une fois créé l'Etat allemand, et notamment pour Guillaume II, la fusion entre nationalisme et État militariste ne signifia plus Prusse, mais Allemagne. De la démocratie Bismarck s'était borné, dans sa construction, à reprendre certaines institutions, tel le suffrage universel, non certes pour soumettre l'appareil d'État au contrôle des citoyens, mais simplement pour créer un instrument de communication commode entre le pouvoir politique et ses sujets, et un contrepoids aux éventuelles tentatives d,e sécession des princes inclus dans le nouvel Etat allemand. Ainsi vit-on à diverses reprises le principe national asservir le principe démocratique, et l'histoire de la création de l'Europe moderne, qui avait coml'l).encépar une tentative pour faire surgir une Europe du peuple, c'est-à-dire de libres citoyens politiquement organisés, est devenue en fait l'histoire des victoires successives du nationalisme. Étant donné le caractère fluide et imprécis des frontières intérieures et extérieures de toute nation, on ne peut pas dire que le principe national ait toujours trouvé à s'appliquer parfaitement. Mais chaque fois que, projetant l'expansion territoriale d'un État, la création d'un nouvel État, la mutilation ou la destruction d'un État existant, des gouvernements ou des révolutionnaires ont pu faire appel pour leur justification au principe de l'unité et de la souveraineté nationales, ces projets ont toujours joui d'un large préjugé favorable. Un État qui ne contrôlait qu'une partie d'une nation se convainquait qu'il avait pour mission naturelle d'unir en lui tout le reste de cette nation, et si au passage il lui advenait d'engloutir quelque minorité nationale, il se proposait le plus naturellement du monde de l'assimiler à la nation dominante. Toute crise internationale fut une bonne occasion pour faire de plus en plus passer le principe national dans la réalité. Chaque fois qu'une manifestation d'intolérance quelle qu'elle fût, et pour absurde, pour inique, pour bestiale même qu'elle pût être, a pu se présenter comme une aspiration nationale, elle a été considérée, en quelque sorte, comme sacrée. Pour apprécier le degré de transformation que le principe national a fait subir au monde politique, il suffit de comparer la carte de l'Europe de 1939, aussitôt après Munich - c'est le moment où le principe de l'unité et de la souveraineté nationales, à la veille de sa chute, avait atteint son plus haut degré de réalisation, - avec la carte d'un siècle auparavant. Dans cette brève période, si l'on fait exception de la Suisse, solidement assise sur le principe de la démocratie

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