A. SPINELLI les affaires d'intérêt commun, divisé entre les diverses communautés et exercé par elles seules quand il s'agissait d'affaires qui relevaient de leurs intérêts particuliers. Le caractère purement rationnel - donc universellement humain - de la Constitution américaine et son respect pour les communautés mineures en ont fait un système extraordinaireip.ent ouvert et vivace. Créée par treize petits Etats essentiellement commerçants et agricoles de la côte atlantique, elle a pu absorber une gigantesque immigration, s'étendre aux cinquante Etats d'aujourd'hui, qui vont jusqu'au milieu de l'océan Pacifique, et régir une société hautement indus-. trialisée, après n'avoir traversé qu'une seule crise révolutionnaire - la guerre de Sécession - et en demeurant substantiellement la même jusqu'à nos jours, de sorte qu'elle est aujourd'hui la plus vieille de toutes les constitutions en vigueur, y compris l'anglaise, laquelle ressemble bien peu à celle de l'époque de Washington et de Hamilton. Comme il arrive d'ordinaire dans l'histoire, où l'on voit souvent des circonstances particulièrement favorables produire une forme politique presque parfaite, mais qui se transporte ensuite assez difficilement en un autre pays, l'expérience américaine fut longtemps considérée en dehors de l'Amérique, et spécialement en Europe, comme un cas marginal, pauvre et incomplet au regard des expériences politiques de l'Europe, et n'offrant qu'une assez mince valeur exemplaire. Mais personne désormais n'oserait plus répéter de tels jugements, car entre-temps les États-Unis d'Amérique sont devenus le centre le plus important et le plus vital de l'expérience démocratique de l'humanité. Hormis la Suisse - qui a, vers le milieu du x1xe siècle, appliqué le principe américain en passant de la confédération aristocratique à la démocratie fédérale, - hormis également l'Angleterre et les pays scandinaves qui ont transformé lentement, grâce à de multiples compromis, l'État monarcho-nobiliaire de droit divin, et ont su se rapprocher de la sobre conception d'un État se bornant à gérer les affaires publiques des citoyens, dans le reste de l'Europe, la formule de la démocratie fédérale entièrement privée d'éléments mystiques, entièrement ratio~nelle, fut à la vérité entrevue en France, en Italie, en Allemagne et dans l'empire des Habsbourg durant le long enfantement des États _et des sociétés modernes, mais elle fut bouleversée par l'apparition d'un autre adversaire de l'~cien régime monarcho-aristocratique : le nationalisme. L'État-nation LA coN:CIENCE d ~ l'existence des nations se perd d:1n5 l 1 nuit des temps. Il y a toujours eu des hommes, des familles qui se sont senti plus d'affinités entre eux qu'avec le reste de l'humanité par suite de la communauté de la langue et de di vers autres caractères importants. Parfois ces affinités, perçues par l'élite d'une Biblioteca Gino Bjanco 283 population, sont ignorées par les masses ou ne sont que passivement acceptées par elles; il arrive aussi qu'elles soient ressenties par tous les participants. Ce fut parfois le pouvoir politique, exercé d'une façon continue et uniforme pendant des siècles, qui conduisit presque inconsciemment à la formation d'une nation : ainsi en fut-il à Rome, en France, en Angleterre. Bien plus fréquemment la nation est un phénomène ignoré des institutions politiques, et qui les a ignorées. Toute nation tantôt s'étend et tantôt se resserre, tantôt émerge de la fusion de nations diverses et tantôt se scinde en diverses nations ; parfois elle disparaît complètement. Entre les nations, les frontières géographiques et culturelles sont presque toujours imprécises et fluides, parce que des hommes de nations différentes peuvent vivre ensemble sur un même territoire, parce que des groupes particuliers peuvent avoir le sentiment d'appartenir à deux nations différentes, et enfin parce qu'il arrive continuellement que telle ou telle population perde certains caractères nationaux et assimile ceux d'une nation voisine. Pour expliquer l'existence de leur propre nation, les hommes se sont rarement contentés de ce qu'ils en connaissaient effectivement, mais lui ont presque toujours inventé des origines fabuleuses et des missions historiques imaginaires. La diversité et l'orgueil des diverses nations suscitent très souvent des antipathies réciproques irrationnelles mais diffuses. En soi la nation est quelque chose d'humainement compréhensible et qui aussi, dans des limites beaucoup plus étroites qu'on ne le pense communément, n'est pas indigne de sympathie pour qui la considère avec détachement. Dans la mesure où ceux qui la composent lui sont attachés par des liens affectifs, elle fait fleurir non seulement une littérature, mais aussi des associations, des rassemblements et des festivités de nature culturelle, éducative, religieuse, sportive, folklorique, etc. C'est, par exemple, ce qui s'est passé pendant longtemps pour les Grecs, pour les Germains, pour les Italiens. Jusqu'à une époque assez récente toutefois, la nation n'a pas été un principe d'organisation politique. Aucune nation nè se sentait politiquement ,infériorisée pour être divisée entre plusieurs Etats, et· aucun État - qu'il fût monarchique ou aristocratique - ne se sentait incomplet pour ne s'étendre que sur un fragment de nation, ou mal construit pour en réunir plus d'une en lui. Ce sont les démocrates de la Révolution française qui élevèrent la nation au rang de principe de légitimité du pouvoir d'État. Comme les novateurs, au commencement de ces événements, se sentaient essentiellement cosmopolites, et que la révolution leur paraissait un drame glorieux de l'humanité tout entière, on peut dire que c'est la furie des événements plus que leurs intentions qui les entraînèrent vers le nationalisme. Par un travail multiséculaire, en habituant leurs sujets
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