DÉMOCRATIE ET NATIONALISME .. I par Altiero Spinelli La première expérience démocratique L'EXPÉRIENCE DÉMOCRATIQUE a commencé avec la révolution américaine, s'est continuée quelques années plus tard avec la révolution française, et s'est depuis lors poursuivie avec des fortunes diverses jusqu'à ses manifestations actuelles. La démocratie a été l'une des réponses possibles à la progressive décomposition culturelle, politique, économique et sociale de l'ancien régime monarcho-nobiliaire de l'Europe. A la prédominance quasi millénaire du courant chrétien de la civilisation européenne avait désormais succédé dans le domaine de la culture la suprématie du courant humaniste, lequel cherchait dans l'homme même la raison et la justification de ses institutions et discréditait ainsi peu à peu la justification de l'Ancien Régime, fondé sur le droit divin. Parallèlement tombait en décomposition la vieille société économique de villageois et d'artisans qui, peu encline aux innovations et fondée sur la fidélité au métier et aux règles traditionnelles, était articulée en structures sociales relativement stables. On voyait s'affaiblir et dépérir les hiérarchies sur lesquelles s'était des siècles durant, fondé l'Ancien Régime, tandi~ que commençait à apparaître l'idée de l'État moderne, l'idée d'un Etat qui aurait à assumer la direction d'une société en profonde et perpétuelle transformation, et dont l'action et les lois marqueraient de plus en plus directement et profondément les couches sans cesse plus étendues de la population soumise à sa juridiction. Des milieux nouveaux et des classes nouvelles, beaucoup plus vastes que ceux du passé, s'intéressaient désormais aux activités et aux institutions de l'État, et assez vite, avant même toute effective réalisation démocratique, on comprit que l'État était désormais destiné à s'appuyer sur la société tout entière, à devenir la chose publique de tous les citoyens. Biblioteca Gino Bianco La formule démocratique de l'État moderne, fait pour gouverner la société moderne, qui avait été l'objet des recherches de tant de penseurs politiques de l'Europe, fut, vers la fin du xv111e siècle, trouvée et réalisée pour la ·première fois par les Américains. Ils amalgamèrent les traditions parlementaires de l'Angleterre, les souvenirs historiques des républiques grecques et romaines, les théories politiques des penseurs politiques européens de leur époque, et spécialement celles de Montesquieu ; ils laissèrent entièrement de côté ces éléments monarchiques et aristocratiques de la métropole contre lesquels ils s'étaient révoltés et qui n'existaient pas dans leur communauté; ils aperçurent clairement qu'ils n'avaient pas à conserver de séculaires structures économiques et sociales, mais à construire une société entièrement nouvelle, où toute innovation serait la bienvenue, où tout intérêt constitué, toute division de classes ou de rangs seraient nécessairement fluides;, ils fermèrent enfin les yeux pour plus d'un demi-siècle sur l'existence, en certaines régions du pays, de l'esclavage, institution qui était en contradiction avec tout le reste de leur société ; et ils instaurèrent chez eux la démocratie. Le pouvoir politique créé par les Américains était dépourvu d'aspects mystérieux ou mystiques ; c'était un prosaïque ensemble d'instruments qui devaient servir à garantir la liberté des citoyens, le respect, du droit dans les rapports qu'ils avaient entrt: eµx, l'i~~épen_danceà l'égard de l'étranger, la same admrmstration des affaires communes en vue de rechercher le bien-être de tous. Puisqu'ils étaie!}t au service des citoyens, les gouvernants devaient être soumis à leur contrôle. Ce n'était ni de la force ni des privilèges héréditaires que devait dérendre la décision dans la lutte pour le pouvoir, ~ais du consentement de la majorité des citoyens, librem~nt et pédiodiquement exprimé dans les for~es légales. Puisque la société s'articulait en plusi~urs communautés mineures, le pouvoir devait être fédéral, c'est-à-dire uni et unique pour· ..
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