• W. W. ROSTOW En 1920 ·par exemple, la production de véhicules automobiles des quatre principales nations européennes ne représentait que 13 % de celle de l'Amérique ; en 1938, elle atteignait 44 %, L'éveil des ouvriers Le retard de l'Europe à développer son réseau routier peut s'expliquer en partie par le manque de capitaux ; par la toute-puissance des chemins de fer et des gouvernements qui les soutenaient ; par l'antériorité du concept américain de la voiture de grande série ; par les grandes distances aux États-Unis et le plus grand nombre de terrains à bâtir à bon marché dans les banlieues. Mais il est également vrai que la société américaine, avec son penchant égalitaire et ses salaires traditionnellement élevés, adopta plus facilement le concept de consommation de masse. L'ouvrier européen ne se fit que lentement à l'idée que les gadgets, les voyages et autres· services lui étaient bien destinés. Mais bien entendu un autre facteur joua. Dans presque toutes les sociétés mûres, la grande crise économique brisa l'emprise d'une génération de dirigeants politiques dont le désir avait été de recréer une << normalité » d'avant 1914. Aux États-Unis, elle porta au _pouvoir ,des dirigeants qui instaurèrent une version de l'Etat bien-être ; en Angleterre, des gouvernements qui édifièrent une certaine prospérité sur le logement, la dévaluation de 1931 et les tarifs préférentiels impériaux ; en France, un gouvernement de Front populaire. Mais en Allemagne et au Japon, l'effondrement - économique, diplomatique et militaire - du système issu de Versailles suscita des régimes qui optèrent pour l'expansion militaire : ce qui imposa aux autres sociétés des impératifs d'un tout autre genre. A court terme, le réarmement devint un facteur du redressement européen; à moyen terme, il y eut une guerre mondiale. « Activités anti-américaines » Pendant . les années d'après guerre, il y eut un entracte de reconstruction. Mais cette fois l'Europe occidentale, et jusqu'à un certai~ point le Japon, entrèrent dans la phase d~ biens de consommation durables et des services. Entre 1950 et 1955, le fossé entre _les .dépenses. de l'Amérique et de l'Europe occidentale, en biens de consommation durables commença a se combler, au point qu'on peut l'expliquer presq~e entièrement en fonction de revenus et de prix relatifs. Toutes les sociétés mûres d'après guerre en Occident et le Japon se comportent d'une manière remarquablement « américaine » ; seuls font exception les Américains eux-mêmes, avec leur nouvelle passion pour l'intimité du foyer, le bricolage, l'évasion en roulotte et en canot à Bibli-oteca Gino s·anco 281 moteur et les écrits sacrilèges sur l'homme de l'organisation. · Il faut répéter que l'extension de la consommation en Europe occidentale ne date pas de l'après-guerre. Mais c'est seulement après la guerre que les obstacles - techniques, politiques et sociologiques - furent levés. La force d'impulsion de l'Europe occidentale, qui soutient la comparaison avec les États-Unis d~avant ~t d'après 1914, est due en grande partie au fatt que la consommation de masse est entrée dans les mœurs. Et maintenant ? L'ère de la consommation de masse n'est nullement terminée, même aux États-Unis ; et elle gagne encore en force en Europe occidentale et au Japon. Des schémas de consommation divers se dégageront forcément à mesure que les intérêts ·composés continueront à courir et que les élascités de revenu de la demande, au sens le plus large, se feront sentir dans différentes sociétés. Toutes n'ont pas besoin d'investir autant que les États-Unis dans l'automobile ou bâtir des banlieues aussi éloignées du centre des villes. La répétition du schéma américain se heurte à des limites géographiques et physiques, sauf peut-être en Russie. A condition que la primauté du consommateur soit respectée et que les revenus réels augmentent, il est cependant probable que les différentes sociétés qui traversent la phase de haute consommation connaîtront des évolutions de structure très voisines, quoique non identiques. Qu'y a-t-il au-delà de la course aux armements et de la menace de guerre ? La vie de la plupart des hommes depuis le commencement des temps a été surtout occupée à se procurer de quoi manger, se loger et se vêtir. Que se passera-t-il lorsque le déclin de l'utilité marginale relative commencera d'affecter le revenu réel des masses ? L4 misère et les conflits sociaux sont-ils une condition nécessaire .de la vie ? Il est peu probable que les générations présentes aient à faire face à ce problème ; il en est d'autres plus urgents. Si les armes· de destruction massive ne sont pas doinestiquées et contrôlées, elles pourraient résoudre une fois pour toutes tous les pr.oblèmes humains. De plus, l'hémisphère austral tout entier et la Chine sont dans la phase des conditions préalables au déma_rrage ou en plein démarrage. Allons-nous voir sous peu une nouvelle série de chefs politiques incités à l'agression par une maturité technique fraîchement acquise ? Ou bien assisterons-nous à une réconciliation générale de la race humaine ? (Fin au prochain numéro) W. W. ROSTOW.
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