• W. W. ROSTOW V. - L'âge de la consommation de ·masse Qu'ARRIVE-T-IL lorsque les valeurs du marché et les impératifs de diffusion de la nouvelle technique perdent leur emprise totale sur l'esp:it des hommes ? Chaque société parvenue à maturité a établi, en fonction de la géographie, de ses ressources, de ses valeurs et de ses dirigeants politiques, un équilibre différent entre quatre grands objectifs : - recherche de la puissance et de l'influence extérieures ; - État bien-être dans lequel l'augmentation de la production et les stimulants dans le secteur privé cèdent le pas à l'allégement des rigueurs découlant de la circulation des marchandises, à l'amélioration de la sécurité sociale et à la redistribution du revenu ; - extension des niveaux de consommation de masse, qui se traduit non seulement par une alimentation, un logement et un habillement meilleurs, mais par la fourniture de biens de consommation durables et de service~; - loisirs enfin, c'est-à-dire réduction de la semaine de travail et relâchement du rythme du travail. Cet équilibre a varié suivant les époques et suivant les pays. En Amérique, l' « ère progressive » de l 901 à 1916 apporta un déplacement des objectifs sociaux plutôt qu'une redistribution radicale des ressources. En 1916, les États-Unis avaient accepté la forme la plus révolutionnaire de la politique économique, l'impôt progressif sur le revenu : dans le nouveau climat, les grandes aff~ires se restreignirent ou furent, jusqu'à un certain point, restreintes ; les syndicats obtinrent explicitement le droit de s'organiser; un système bancaire fédéral de réserve fut créé, en partie pour régulariser la circulation des marchandises. L'intérêt général s'imposa également sous forme de conservation de richesses naturelles comme les parcs nationaux et les réserves. Banlieues et « gadgets " Pendant la même période, lesAméricains prirent une autre décision, importante concernant la direction des affaires du pays. Dans les années 1890, beaucoup pensaient que le moment était venu pour les États-Unis de jouer un rôle de premier plan sur la scène mondiale et qu'il fallait abandonner la doctrine Monroe. Mais les « grands desseins » de Théodore Roosevelt ne parvinrent pas à s'imposer. On garda les Philippines, mais les Américains finirent par renoncer à fonder un empire, optant en politique étrangère pour une version de la tradition libérale anglaise plutôt que pour la tradition conservatrice. Bibli.oteca Gino s·anco 279 C'est vers le troisième choix possible après la maturité - nouvelles dimensions de la consommation - qu'affluèrent de plus en plus les ressources américaines ; la tendance fut freinée par la hausse du prix de la vie urbaine jusqu'en 1920, mais devint manifeste pendant l'expansion de la décennie suivante. Les années 20 furent marquées, d'abord, par l'ascension d'une nouvelle classe moyenne; l'ère du technicien, des employés et des ouvriers était venue. Elle fut marquée par un afflux non seulement vers les villes mais aussi, et plus encore, vers les banlieues. Elle fut marquée avant tout par l'avènement de l'automobile ; les États-Unis se mirent au volant - et une vaste immigration intérieure commença vers de nouvelles maisons individuelles de banlieues, où se multipliaient postes de radio, réfrigérateurs et autres gadgets d'une société dont la mobilité sociale et la productivité avaient pratiquement éliminé .le personnel domestique. Les Américains se mirent à consommer des denrées alimentaires de premier choix, de plus en plus de conserves, puis de nourriture congelée. Vint ensuite une décennie de crise grave et prolongée. Au départ, il s'agissait d'une baisse cyclique parfaitement normale ; elle prit des proportions anormales en raison de l'effondrement des établissements de crédit en Amérique et à l'étranger. Sa durée était cependant directement liée à la phase de croissance que les États-Unis traversaient. Lorsque les investissements se concentrent sur des industries et des services fondés non sur des processus industriels qui réduisent le prix de revient - comme par exemple à l'âge des chemins de fer - mais sur l'expansion de la consommation, le plein emploi est en quelque sorte nécessaire pour soutenir le plein emploi. A moins que les niveaux de consommation ne progressent, la capacité des industries de consommation et de celles qui les approvisionnent sera sous-employée et la tendance à investir sera faible. L'industrie américaine semblait s'être presque stabilisée à un niveau plus bas lorsque la deuxième guerre mondiale, comme un deus ex machina, rétablit le plein emploi. Pendant les années 30, la société américaine ne connut pas que la crise. Elle fit un gros effort dans le sens d'une autre solution d'après la maturité, c'est-à-dire le bien-être social : les contours de l'État bien-être furent tracés sous Franklin Roosevelt et sont depuis lors un aspect reconnu de la vie américaine. La quatrième phase, la grande expansion d'après guerre en 1946-56, peut être considérée comme une reprise de l'expansion des années 20; reprise de la marche vers la grande banlieue et de la multiplication des voitures, des réfrigérateurs et autres gadgets. Cette expansion a atteint un point tel que la croissance américaine ne peut plus continuer à reposer autant sur la diffusion de biens de consommation durables à une proportion toujours croissante de la communauté. Dans tous les secteurs, les courbes de croissance
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