Le Contrat Social - anno IV - n. 5 - settembre 1960

W. W. ROSTOW III. - Le démarrage , DE~~GE est un terme commode pour designer c~~e courte phase ~u développement, qui tient en deux ou trois décennies, pendant laquelle l'économie et la société dont elle_fait pai:tie se ~ransform_entau point que la croissance econom1que devient plus ou moins aut~matique .. C~tte période peut être approximativement s1tuee pour la Grande- Bretagne entre 1763 et 1802 ; pour la France, de 1830 à 1860 ; pour les États-Unis, de 1843 à 1860 ; pour l'Allemagne, de 1850 à 1873 ; pour la Suède, de 1868 à 1890 _; pour le Japon, de 1878 à 1900; pour la - Russie, de 1890 à 1914. L'Argentine, la Turquie l'Inde et la Chine peuvent être considérée~ comme passant actuellement par cette phase. La période est marquée, en gros, par une progression décisive (rendue possible par l'aff~~misse_mentdes co~ditions préalables) du taux d 1nvest1ssement, qui passe de 5 % environ du produit national net à 1 o % ou davantage ; pour un accroissement démographique de I à 1,5 % par an, un taux d'investissement d'environ 1_0 % est. nécessaire rour assurer une augmentation continue du capital par tête d'habitant. Le démarrage nécessite aussi le développement d'un ou de plusieurs secteurs manufacturiers solides, au taux de croissance élevé. Enfin, il faut que le cadre politique, social et institutionnel soit suffisamment développé pour maintenir la croissance. Cette troisième condition implique une forte capacité à mobiliser des capitaux de source _1?-ationale,que l'on dispose ou non de capitaux etrangers. • L'impulsion et le processus de démarrage ont revêtu de nombreuses formes. Le taux et la productivité des investissements peuvent s'élever et le processus de croissance se renforcer de lui-même en empruntant des voies techniques e~économi9ues différentes, dans ~es cadres politiques, sociaux et culturels de toute sorte, selon des motivations humaines d'une grande diversité. Réformes agraires et réinvestissement te financement intérieur du démarrage provient généralement de deux types de sources : changements dans le contrôle sur le flux des revenus et réinvestissement des profits dans les secteurs en expansion particulièrement rapide. Dans le Japon des Meïji et en Russie tsariste, la substitution des titres de rente aux loyers perçus par les grands propriétaires fonciers redistribua le revenu entre les mains d'hommes plus enclins à poursuivre le progrès matériel et à accepter les innovations. La réforme agraire eut deux résultats positifs : l'État lui-même utilisa les redevances payées par les paysans et encouragea le développement économique ; certains anciens propriétairesentreprenantsfirent des investissementsdans le commerceet l'industrie. Biblioteca Gino Bianco 275 Dans les deux cas, la valeur réelle des titres de rente qui remplaçaient les terres se trouva dépréciée. L'Inde contemporaine n'use qu'avec une grande prudence de ce mode de transfert du revenu ; mais en Chine communiste, l'État a systématiquement pris en main tous les capitaux privés et puise abondamment le capital dans les masses paysannes. Le rôle de l'inflation L'inflation elle aussi a joué un rôle important dans plusieurs démarrages. Dans l'Angleterre de la fin des années 1790, aux États-Unis dans les années 1850 et au Japon dans les années 1870, l'inflation des prix aida à la formation du capital en faisant passer les ressources de la consommation aux profits. Le transfert des revenus en des mains plus productives a naturellement été favorisé aussi par les banques et les marchés de capitaux. Presque toutes les périodes de démarrage ont été marquées par ces deux organes financiers. Une autre condition nécessaire a été l'existence d'un ou de plusieurs secteurs qui se développaient rapidement et dans lesquels les entrepreneurs, privés ou publics, réinvestissaient une bonne partie de leurs profits. Il est dans l'histoire économique des périodes où des améliorations substantielles du mécanisme de l'offre du capital ne suffisent pas à provoquer un démarrage, comme en témoigne l'activité bancaire en Angleterre dans le siècle précédant 1783 et en Russie avant 1890. Autrement dit, dans le processus d'investissement c'est la demande plutôt que l'offre de capitaux disponibles pour l'avance de fonds qui peut être l'élément décisif du démarrage. Le commerce extérieur constitue une source très importante de profits réinvestis. Des économies en développement ont créé avec leurs ressources .naturelles de grandes industries d'exportation, dont la production accrue a financé l'importation de biens d'équipement pendant le démarrage. Le blé américain, russe et canadien, le bois et la pâte à papier suédois et la soie japonaise ont rempli cette fonction. Les exportations chinoises vers le bloc communiste, arrachées au se~teur a~icole ~u prix que l'on sait, jouent auJourd'hu1 le même rôle. Le développement des exportations ne garantit cependant pas automatiquement une formation rapide de capital. Leur produit peut servir à financer la thésaurisation (importation d'or en barres par l'Inde) ou à acheter des Cadillac (comme c'est parfois le cas aujourd'hui). Enfin l'afflux de capitaux étrangers s'est révélé, comme aux ~tats-Un~s, en _Russie,en Suède et au Canada, extremement important pour le démarrage, notamment lorsque la constitution d'un capital d'infrastructure lourdaud à longue gestation était nécessaire ; mais certains démarrages ont eu lieu (par e~emple en An~eterre et au Japon) presque exclusivement à partir de sources de financement intérieures.

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