Le Contrat Social - anno IV - n. 5 - settembre 1960

270 d'autant plus que Mao a déclaré qu'on ne peut transiger avec des « impérialistes ». EN TANT qu'unificateur de la Chine moderne et convaincu qu'il est de détenir seul la vérité pour son pays, Mao ne peut manquer d'être profondément sensible au point de fixation que constitue l'existence à Formose de son éternel rival Tchang Kaï-chek. La permanence de la République de Chine à Formose est un défi au culte de Mao, aussi sûrement que Trotski resta de son vivant un défi à Staline. Il est possible que Khrouchtchev, conscient que les ÉtatsUnis ne sont pas un « tigre de papier» et qu'ils sont décidés à défendre Formose, ait dû modérer l'infaillible Mao en plus d'une occasion..Les dirigeants chinois réfugiés à Hong-kong n'ont pas manqué de remarquer les effets de l'insistance mise par Khrouchtchev, lors de son voyage aux États-Unis, sur la nécessité de reconnaître le statu quo et de ses déclarations suivant lesquelles les « deux Allemagnes » devaient être acceptées parce qu'elles existaient depuis dix ans. En tant que Chinois, Mao a dû être jaloux et, en tant que despote infaillible, soupçonneux de ce qui· se disait à Camp David. La vue simpliste qu'il a du monde divisé en deux camps l'a probablement amené à penser que Khrouchtchev était un déviationniste et que lui-même devait plus que jamais défendre le marxisme dans toute sa pureté. Le régime de Mao détonne par rapport à Moscou. Tandis que dans la capitale soviétique on voyait sans trop de défaveur la tournée du président Eisenhower, à la fin de 1959, dans de nombreux pays, notamment en Inde, Pékin dénonçait le voyage comme un « complot pour aggraver la tension». La plupart des conséquences du culte de Mao ne sont que trop claires après le cas Staline; mais un dernier point mérite l'attention. Comme le fait remarquer Tchang Kuo-tao, Mao « est d'abord un militaire». Sa carrière et son pouvoir ont été édifiés avant tout par des moyens militaires. « La Longue Marche» et les années de guerre ont renforcé son sentiment du destin et sa conviction que les représentants des « classes bourgeoises et féodales » épuisées sont des « tigres de papier » incapables de lutter. La plupart de ses compagnons de premier plan sont également des militaires pour qui « la tâche centrale et la forme la plus élevée de la révolution est de s'emparer du pouvoir politique par la force, de résoudre les problèmes par la guerre». Alors que d'autres préfèrent mentionner la politique américaine, ..., Biblioteca Gin0 Bianco LE CONTRAT SOCIAL la corruption et les maux de l'ancienne société, Mao lui-même attribue sa victoire sur les nationalistes à l'art militaire et à la mobilisation des masses. Le chef chinois a rendu au. marxisme la violence armée et sa brutalité primitive. En mai . 1958, les écrits militaires de Mao furent inscrits pour la première fois au programme de l' Académie militaire nationale. Ces textes doivent constituer la base du développement futur des forces armées; ils mettent l'accent sur les rapports entre la guerre et la politique. Dans ses Problèmes de la guerre et de la stratégie, Mao écrivait : Chaque communiste doit saisir cette vérité : « Le pouvoir politiqùe sort du canon d'un fusil. » Notre principe est que le Parti commande le fusil et qu'il ne sera jamais permis au fusil de commander le Parti( ...). Nous pouvons même dire que le monde entier ne peut être refaçonné qu'avec le fusil. Comme nous sommes des champions de l'abolition de la guerre, nous ne désirons pas la guerre; mais la guerre ne peut être abolie que par la guerre - afin de se débarrasser du fusil, nous devons nous en armer. Le penchant militariste de Mao·et sa croyance en la valeur de la guerre pour atteindre les objectifs communistes doivent éveiller de sérieuses appréhensions à Moscou. Cela peut aider à comprendre pourquoi les Soviétiques n'ont pas foumi aux Chinois de fusées ni d'armes nucléaires. Le culte du chef rendu à Mao, le grand simplificateur, est de trop mauvais augure pour être . négligé par aucun des dirigeants du monde ou par ses compagnons mieux informés et plus équilibrés. Il est possible que sa croissante infirmité physique et mentale puisse faciliter sa mise à l'écart, mais malheureusement quand sévit le culte de la personnalité les luttes pour le pouvoir se décident le plqs souvent en faveur de ceux qui soutiennent le chef et savent le mieux lui complaire. Le monde se trouve ainsi en face d'une Chine qui s'industrialise rapidement et dont la puissance s'accroît, dirigée par un despote mal informé et ayant peu voyagé, qui a depuis longtemps la conviction d'être prédestiné et infaillible et dont le culte pourrait le pousser à une extrêm~ mégalomanie. Cette perspective jette probablement la consternation parmi les dirigeants soviétiques dont Mao prétend représenter l'idéologie. Ils préfèrent à coup sûr voir le paysan hounanais brandir en guise d'étendard une houe .plutôt qu'une- bombe atomique. RICHARD L. WALKER. {Traduit de l'anglais)

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