Le Contrat Social - anno IV - n. 5 - settembre 1960

268 apparemment abordé là un domaine où Mao se croyait seul qualifié. Liang demanda à Mao la permission de parler dix minutes encore. Tchou Tching-wen relate ainsi la suite de l'incident : A peine avait-il ouvert la bouche que Mao Tsétoung ne put se contenir. Empoignant un microphone, il éclata : « Vous vous croyez peut-être très joli... Mais je vous tiens pour un mufle. » Liang resta muet de stupeur. Il ne put poursuivre. L'atmosphère devint plus tendue. Mao continua : « La radio de Formose vous a loué comme un homme intègre et déterminé. Je trouve que vous sentez mauvais, mauvais jusqu'à la moelle des os. » Debout à la tribune, Liang avait l'air d'avoir été frappé de la foudre. Il ne pouvait comprendre ce qui mettait Mao en colère à ce point. Il fit mine de vouloir reprendre la parole, mais cette fois les vociférations de l'assistance l'en empêchèrent. Il n'est pas étonnant qu'une campagne nationale ait été lancée plus tard contre l' « ennemi du peuple » Liang Chou-ming. Les « droitiers » qui, après la période des « Cent Fleurs », furent punis le plus sévèrement ou dénoncés avec le plus de véhémence étaient ceux qui, dans leurs critiques, avaient mentionné Mao ou s'en étaient pris à la politique à laquelle il était le plus intimement associé. Quand la Yougoslavie mit en question la sagesse de Mao, les communistes chinois surpassèrent de loin les soviétiques dans leurs vitupérations. Au printemps de 1959, à la suite d'informations selon lesquelles des tomates avaient été lancées en Inde contre le portrait de Mao et de la publication dans les journaux indiens de dessins jugés insultants pour le chef chinois, Pékin intensifia la campagne centre les « expansionnistes » indiens. Selon l'agence Chine nouvelle, la « colère » du peuple chinois avait « flambé comme une traînée de poudre». Le directeur de l'Institut de recherche de Hong-kong, organisation compétente et réputée, écrivait le 23 décembre 1959 : « Bien que les gens en aient assez de l'idolâtrie de Mao, surtout depuis l'établissement des "communes populaires", la prétention du vieil homme et le culte du chef co~tinuent de croître. » D'anciens compagnons citent comme un exemple de la suffisance de Mao la convocation fréquente de conférences où il parle pendant des heures. Ils font remarquer que, mal à l'aise devant une nombreuse assistance, il bavardera interminablement à une table de conférence où il peut fumer sans arrêt. Après qu'il eut été élevé à la présidence de la République en septembre 1954, il convoqua à seize reprises la Conférence suprême d'État, organisme mal défini dont la composition est laissée à la discrétion du président. C'était pour Mao l'occasion d' << une analyse incisive de la situation tant intérieure qu'intetnationale ». Tchou Tching-wen assistait en automne 1956 à l'une de ces réunions où Mao parla à· bâtons rompus pendant plus de quatre heures. Bien qu'il se soit démis en 1959 Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL de ses fonctions officielles dans l'État, Mao continue à faire des conférences, notamment devant des intellectuels sans-parti. L'agence Chine nouvelle a rapporté que le 15 septembre 1959 il convoqua une réunion pour « une importante déclaration ». La répugnance visible de Mao pour les réunions nombreuses et la perte de temps et d'énergie que représentaient les cérémonies d'importance mi-: neure, qu'il considérait probablement comme indignes de sa grandeur; peuvent aider à expliquer sa décision de se consacrer à l'idéologie et aux affaires du Parti. Ceux qui sont de plus en plus épris d'eux-mêmes portent d'habitude peu d'attention à la présentation logique de leurs paroles. De là vient que beaucoup de discours récents de Mao n'ont pas été reproduits et que d'autres n'ont été publiés qu'après une laborieuse mise au point qui parfois demande plus d'une année. Une grande partie du long discours prononcé. à la réunion de3 dirigeants communistes, pend~nt les fêtes du quarantième anniversaire à Mcscou en 1957, fut au plus haut point incohérente et demeura incomprise des auditeurs. Des intellectuels chinois réfugiés déclarent que les longues divagations de Mao aux conférences qu'il convoque sont de plus en plus décousues. DANSSON RAPPORT secret de 1956, Khrouchtchev avouait que Staline avait été corrompu par le pouvoir et la vanité, qu'il était devenu « un homme méfiant, maladivement soupçonneux». Derrière l'image artificielle créée par le culte de Mao, une réalité se dégage dont la ressemblance avec Staline est de nature à troubler le repos de chacun. Le Canadien Stevenson estime que le discours de Mao sur les « contradictions », publié pour la première fois le 18 juin 1957, « révèle un homme qui se nourrit de ses propres suspicions, convaincu qu'il sait distinguer correctement entre le bien et le mal; et déterminé à protéger le peuple contre les complots des méchants». Tchou Tching-wen dit encore plus nettement : « Le culte de la personnalité détraqua Staline; il a détraqué Mao Tsé-toung. » Parmi beaucoup de ses anciens compagnons, Mao passe pour « plus stalinien que Staline ». Il ·existe avec la carrière de Mao beaucoup de parallèles instructifs dans l'histoire de la Chine. Le premier empereur Tchin, pour ne nommer que lui, -unifia pour la première fois le pays en 221 avant J .-C. Il accomplit ce haut fait après s'être battu pendant plus de vingt-cinq ans à la suite de son avènement. Son nom est synonyme d'oppression despotique pour tous les Chinois. Les historiens ont décelé sa tendance à la suspicion et à la névrose après sa victoire finale. L'unification militaire de la Chine, venant après des siècles de guerres et de désordres, lui paraissait à. lui et à ses partisans pratiquement surhu-

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