,. LÉNINE PHILOSOPHE par N. Valentinov LE ((CULTEDE LA PERSONNALI)T) Éde Lénine bat son plein en URSS, au mépris de la condamnation officielle de ce culte, au mépris même de la véritable personnalité de Lénine, mais au bénéfice politique des épigones de ses épigones qui ont le pouvoir matériel de s'imposer comme les héritiers attitrés de sa doctrine. Une des manifestations de ce culte scandaleux consiste à célébrer toutes sortes d'anniversaires, notamment ceux de la publication des œuvres principales de Lénine. En 1959 tombait le quarantenaire de Matérialisme et empiriocriticisme, gros traité dogmatique de philosophie pseudo-matérialiste et pseudo-scientifique, passé inaperçu en son temps mais réédité en 1920 quand le parti bolchévique au pouvoir se fut assuré le monopole de la presse et de l'édition. Depuis lors, ce livre est de lecture obligatoire dans les écoles soviétiques et communistes. Porté aux nues par des ignorants qui ne l'ont point lu, il tient lieu de manuel intangible pour l'enseignement du «marxisme-léninisme» philosophique. A l'occasion de ce quarantième anniversaire, les commentaires dithyrambiques ont abondé dans le monde communiste et, de Moscou, arrivent maintenant revues, brochures et ouvrages magnifiant l'événement. On prend ici la liberté de le marquer d'une autre façon. Dès 1904, Lénine voyait, dans les essais et les recherches philosophiques de certains membres de son parti (et des plus remarquables comme Bogdanov, Bazarov, Lounatcharski, Valentinov, Iouchkévitch, etc.), une intolérable révision du marxisme (tel qu'il l'entendait). La révolution de 1905 ajourna les controverses publiques en ces matières, mais l'accalmie consécutive les favorisa et, en mai 1908, Lénine partit pour Londres afin d'étudier quelque peu la philosophie au British Museum (cependant, il ne s'attaquera à la Logique de Hegel qu'en 1914, pendant la guerre). En quelques semaines, il avala ou parcourut ce dont il avait besoin et, en septembre-octobre 1908, écrivit son opus magnum... De cette bagarre philosophique, il reste un seul survivant, notre collaborateur N. Valentinov (N. Volski) dont les passionnants souvenirs : Relations avec Lénine ( éd. Tchékhov, en russe, Biblioteca Gino Bianco· New York 1953) ont déjà été signalés ici même. Il y évoque ses premiers contacts avec Lénine à Genève, en 1904, leur étroite collaboration dans les dissensions internes du Parti à l'époque, enfin leurs discussions sur le matérialisme et l'empiriocriticisme qui aboutirent à une rupture, non seulement sur le plan de la philosophie, mais également personnelle et politique. Ce livre est d'un intérêt exceptionnel pour qui veut connaître et comprendre Lénine à la fois comme type humain et comme personnage historique : aucun autre ouvrage ne le campe avec un tel relief, sous une telle lumière, dans une langue aussi alerte et vivante, où la vérité et la sincérité s'expriment en termes aussi persuasifs. On en reproduit ci-après le chapitre le plus austère, ayant trait à la discussion qui mit fin aux relations entre Lénine et Valentinov et au cours de laquelle se dessine l'ébauche de ce qui sera, quatre ans plus tard, Matérialisme et empiriocriticisme. L'introduction du regretté professeur M. Karpovitch est empruntée au livre Relations avec Lénine : mieux que personne, elle présente l'auteur et en dit sobrement les mérites, tout en soulignant pertinemment le prix de cette contribution unique à· l'histoire du bolchévisme. INTRODUCTION par M-Karpovitch IL y Après d'un demi-siècle, alors que l'auteur de ces Relations avec Lénine était encore un tout jeune homme, le sort le rapprocha pendant quelque temps de Lénine et dans des ·conditions qui lui permirent d'observer jour après jour et dans l'intimité le futur chef de la révolution russe, le fondateur du régime soviétique. Nicolas Vladislavovitch Volski (Valentinov) est né à Morchansk, province de Tambov, en Russie centrale. Il était encore étudiant quand il rejoignit le mouvement révolutionnaire en 1898 ; il avait vingt-quatre ans. C'était l'époque où le popu-
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