Le Contrat Social - anno IV - n. 4 - luglio 1960

194 porte les antagonismes aux tensions les plus extrêmes et la guerre devient la seule conséquence possible du progrès des forces productives. Seule la révolution prolétarienne... En ressassant depuis le xxe congrès du Parti son leitmotiv sur la « coexistence pacifique » qui exclut la fatalité des guerre~, Khrouchtchev fait table rase du petit livre «génial» sur L' Impérialisme, stade suprême du capitalisme, dont il ne restait déjà pas grand-chose à la lumière de l'évolution réelle du monde. Comme pour aller au-devant de l'accusation de révisionnisme, il a déclaré le 21 juin à Bucarest : « On ne doit pas répéter comme des enfants ce qu'avait dit Lénine dans des conditions historiques tout à fait différentes. Il faut prendre en considération la situation présente et peser le rapport des forces 4 • » Tous les révisionnistes tiennent un langage de cette sorte, mais tous n'ont pas le pouvoir d'imposer silénce aux contradicteurs, voire aux approbateurs. La pression des faits doit être bien forte pour inspirer ainsi les dogmatiques de l'orthodoxie « marxiste-léniniste ». Khrouchtchev poursuit, en proie au révisionnisme : «L'enseignement de Lénine se faisait à une époque où l'URSS était le seul pays socialiste. Les temps ont changé, le camp socialiste compte aujourd'hui plus d'un milliard d'habitants et les pays capitalistes n'ont plus d'arrières dans leurs colonies. Il n'est plus possible de répéter ce que Lénine disait il y a quarante ans et d'affirmer que les guerres impérialistes sont inévitables tant que le socialisme n'aura pas· triomphé sur toute la terre (...) Marx, Engels et Lénine ont montré la voie vers le communisme. Si nous suivions leur enseignement à la lettre, nous n'arriverions pas à de grands résultats (...) Il faut comprendre et interpréter ce que nous lisons. Aussi pouvons-nous affirmer que la guerre n'est pas inévitable. » Autres temps, conditions nouvelles, réexamen des formules stéréotypes, prévalence de l'esprit sur la lettre - on croirait lire du Bernstein. Au nom de la direction collective héritière de Staline, l'orateur révisionniste ne craint pas d'ajouter ces vérités premières : «Nous vivons en un temps où Marx, Engels ni Lénine ne sont plus parmi nous (...) Nous fondant sur le marxismeléninisme, nous devons penser par nous-mêmes, étudier complètement la vie, analyser la situation présente et en tirer les conclusions utiles à la cause du communisme. » Pour l'heure, la conclusion principale contribue à dissiper la hantise de la guerre atomique, précisément suscitée par les dirigeants de l'Union soviétique. Sans doute ne trouve-t-on rien d'original dans ce discours, mais puisque Khrouchtchev a volontiers recours 4. Les extraits du discours de Bucarest sont tirés de la presse quotidienne dont les comptes rendus ne paraissent pas d'une précision littérale, mais rréanmoins concordent. Un texte officiel ne tardera pas à inonder l'Occident (et l'Orient). LE CONTRAT SOCIAL aux bons vieux proverbes russes, il est tentant de lui en appliquer un que citait Lénine : « Une brebis galeuse donne quand même une touffe de laine. » En l'espèce, la touffe de laine consiste dans l'abandon d'une position politique intenable, dans le reniement d'un dogme « génial » légué par le célèbre penseur infaillible, dans l'exemple contagieux du néo-révisionnisme. Même si le couvercle policier qui pèse sur la vie intellectuelle des États communistes interdit aux initiatives privées de se donner ouvertement libre cours, il y a lieu d'escompter sans impatience le cheminement secret d'autres idées salutaires, le renoncement à d'autres attitudes nuisibles, la répudiation d'autres credo stériles, un renouveau d'intelligence créatrice. Depuis le fameux rapport de • Khrouchtchev à huis clos au xxe congrès du Parti, détruisant la légende de Staline et révélant certains épisodes de la chronique scandaleuse du régime, rien d'aussi important que le discours révisionniste de Bucarest n'a illustré la transformation lente de l'absolutisme soviétique. Peu à peu d'autres œuvres de Lénine, et notamment L'Etat et la Révolution, deviendront des pièces de musée, ou de bibliothèques documentaires, aussi vrai qu'à Moscou depuis sept ans l'on ne réimprime plus Staline. Il reste à constater que les démocraties occidentales défiées en permanence par un Khrouchtchev contemplent le processus en question sans rien faire. pour le hâter ni pour en améliorer la tournure. B. SOUVARINE. ) P-S. - Alors que l'article ci-dessus était composé à l'imprimerie, l'Agence France-Presse a signalé de Moscou, I 5 juillet, la publication dans Kommounist d'un article admettant que « certaines· notions du marxisme ont actuellement perdu de leur force et doivent être rénovées » ( donc révisées ?) . Article qui confirme étonnamment le nôtre et cite même le passage de Unine jeune s,ur la théorie de Marx qui n'est pas <1 quelque chose de parfait et d'inattaquable », cité plus haut et déjà précédemment cité par nous dans un livre paru en 1935 ( Staline. Aperçu historique du bolchévisme). La revue officielle du Comité central, en outre, confirme implicitement : 1, que Khrouchtchev exprime les vues de la direction collective du Parti ; 2, que la politique de 1c guerre froide » camouflée en 11 coexistence pacifique » .et formulée au xxe Congrès reste en vigueur, nonobstant les racontars propagés à travers le monde par une presse peu sérieuse; 3, que le révisionnisme s'impose aux tenaqts de l'orthodoxie pseudo-marxiste-léniniste., incapa~les d'accorder théorie et pratique, mais aptes à masquer leurs contradictions sous un verbiage dont l'insolence ne compense pas l'inconséquence. Selon l(ommounist, « la coexistence pacifique entre États de systèmes sociaux différents » implique << des accords définis, des concessions réciproques et même certains compromis», par conséquent une collaboration des classes, alors que la même doctrine condamne tout relâchement dans la lutte des classes. Le texte complet du K0!11,mounist offrira sans doute ample matière à gloser sur le révisionnisme soviétique qui n'ose pas dire son- nom.

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