B. SOUVARINE que« le socialisme,c'est la suppression des classes » et que la dictature du prolétariat doit s'exercer entre la prise du pouvoir et la réalisation du socialisme. Il s'ensuit que depuis une vingtaine d'années, la dictature pseudo-prolétarienne aurait dû disparaître. La deuxième et dernière édition du Dictionnaire politique (Moscou 1958) définit la dictature du prolétariat comme le « pouvoir étatique du prolétariat instauré en conséquence de la révolution socialistepour assurer la transition du capitalisme au socialisme ». La transition étant terminée, paraît-il, on ne s'explique pas que la dictature du parti unique perdure. Il y a là un révisionnisme inavoué, mais criant. En 1920, Lénine parlant à Fernando de los Rios prévoyait que la période transitoire de dictature pourrait durer « peut-être quarante ou cinquante ans ». Les quarante ans sont écoulés, les cinquante le seront bientôt, et il faut croire que le socialisme n'existe pas puisque la dictature existe et qu'il n'est pas question d'y mettre fin. Toujours selon Lénine, « la dictature du prolétariat est le prolongement de la lutte de classe prolétarienne sous de nouvelles formes». Par conséquent, là où la dictature persiste, la lutte de classe continue, donc il y a des classes, donc il n'y a pas de socialisme puisque « le socialisme, c'est la suppression des classes ». Le révisionnisme coule à pleins bords. Lors du xe congrès du Parti en 1921, Lénine réagit contre la tendance à brûler les étapes vers le communisme. Il préconisait de passer d'abord au capitalisme d'État, de là au socialisme et, plus tard, au communisme, processus qui devait durer des générations, mais non des siècles. Vers la fin de sa vie, il redoublera de prudence. Dans son article de 1923 «Sur la coopération », il identifie le développement de la coopération au développement du socialisme, mais il s'agit de coopération libre, volontaire, non de coopération par le fer et par le feu à la Staline. Et de même qu'il avait reconnu : « Les bases du socialisme n'existent pas chez nous. Les communistes qui imaginent qu'elles existent commettent la pire des fautes », il conclura dans son écrit ultime : cc Nous manquons de civilisation pour pouvoir passer directement au socialisme, encore que nous en ayons les prémisses politiques. » Ainsi Khrouchtchev, tout comme Staline, trompe-t-il son monde en assimilant le socialisme à son régime d'inégalité extrême, d'exploitation de l'homme par l'homme, de dictature du parti communiste substitué au prolétariat, tout en dénonçant le révisionnisme. Il se comporte encore en révisionniste quand il impute à Lénine l'idée première de la cc coexistence pacifique» de tous les pays, contraire à la doctrine constante du maître. Il n'y parvient qu'en tirant par les cheveux de rares fragments de textes inactuels séparés des contextes pour leur prêter une signification abusive. Cependant l'on constate aisément que dans les encyclopédies, dictionnaires politiques et diplomatiques, ouvrages minutieux Biblioteca Gino Bianco 193 de références soviétiques où figurent les moindres expressions et locutions lie Lénine, la « coexistence pacifique » brille par son absence. TOUT CE QUt EXISTE coexiste, sauf guerre à mort, et par conséquent l'existence de l'Union soviétique implique une coexistence. Cette banalité ne sert qu'à souligner l'indigence de la pensée d'un Staline et d'un Khrouchtchev. Du vivant de Lénine, l'Union soviétique était trop faible pour songer à une action offensive contre personne, après l'échec cuisant de la marche sur Varsovie en 1920. La retraite précipitée de l'Armée rouge et la leçon de l'aventure militaire en Pologne assagirent Lénine, responsable de la fâcheuse tentative. Ses propos pacifiques ultérieurs ne font qu'enregistrer le rapport des forces. Mais ses idées sur la guerre révolutionnaire, légitime à ses yeux, sont trop explicites pour être niables. En 1918 il écrivait dans la Pravda : « Une véritable guerre révolutionnaire serait en cemoment celle que la République socialiste ferait aux États bourgeois en se donnant nettement pour but, avec l'entière approbation de l'armée socialiste, de renverser la bourgeoisie des autres pays. Mais il est certain qu'au moment actuel nous ne pouvons encore nous assigner ce but. » Donc, simple question d'opportunité. Il croyait ferme à l'inéluctabilité des guerres : cc L'histoire nous montre que la paix est une trêve pour la guerre, la guerre un moyen d'obtenir une paix un peu meilleure ou pire. » Dans son article sur Pitirim Sorokine, la même année, il pose l'alternative : « Ou bien le pouvoir des Soviets triomphe dans tous les pays avancés du monde, ou bien c'est l'impérialisme anglo-américain, le plus réactionnaire, le plus forcené, étrangleur des peuples petits et faibles, qui réinstalle la réaction dans le monde entier (...) De deux choses l'une. Pas de milieu.» Seuls des révisionnistes invétérés peuvent trouver là de quoi théoriser la « coexistence pacifique». Six années au pouvoir avaient instruit et mûri Lénine sans toutefois modifier sa conception fondamentale de l'impérialisme à notre époque cc de guerres et de révolutions». Son1petit livre qualifié de « génial » par le dogme officiel, où il se. borne à systématiser les travaux désormais périmés d'autres auteurs, tend à prouver que l'impérialisme accentue les contradictions entre puissances capitalistes, pousse .celles-ci aux conquêtes coloniales, attise les conflits et rend les guerres inévitables entre elles. D'après sa thèse, l'impérialisme engendre les monopoles, supprime la concurrence, paralyse donc le progrès technique, accroît le parasitisme des rentiers/let il en résulte la multiplication du personnel domestique au détriment du nombre des ttravailleurs productifs. De la disparité du développement économique dans les pays capitalistes découle l'inéluctabilité des guerres, car l'impérialisme
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