Le Contrat Social - anno IV - n. 4 - luglio 1960

QUELQUES LIVRES sa postérité, était beaucoup plus respectueux que l'auteur de ce remarquable essai ne le laisse supposer. A. P. J.-P. SARTRE : Critique de la raison dialectique, précédé de Questions de méthode. - T. I. Théorie des ensembles pratiques. Paris 1960, Gallimard, 755 pp. IL EST DIFFICILE d'extraire la pensée contenue dans un ouvrage aussi verbeux, pesant et informe, qui ne fait pas précisément honneur à l'auteur de L' Etre et le néant. Celui-ci confesse lui-même qu'il s'agit d'une « montagne de papier » d'où s'échappe finalement une souris bicolore. L'objet reconnu dans les Questions de méthode est en effet de réaliser la synthèse de l'existentialisme et du marxisme. Par cc existentialisme » on doit entendre la philosophie personnelle de Sartre, tandis que le «marxisme» dont il est question paraît surtout se référer au bolchévisme théorique et pratique. Leur synthèse est une sorte de quadrature du cercle, appelée à répondre au vœu de certains milieux intellectuels progressistes. Dans cette perspective, le «marxisme » serait complètement identifié à un système de métaphysique, puisque Sartre n'hésite pas à déclarer qu'il s'agit de « l'indépassable philosophie de notre temps », méconnaissant ainsi qu'il s'agit aussi d'une œuvre scientifique du siècle dernier qu'il faudrait apprécier de nos jours dans son rapport avec les faits. Sartre prétend faire baisser pavillon à son propre existentialisme devant le «marxisme». Mais son entreprise, d'allure plus théologique que scientifique et qui consiste à tenter d'harmoniser avec la religion d'État soviétique une doctrine dont il n'ignore pas qu'elle a été plusieurs fois condamnée comme hérétique, n'est pas entièrement franche. C'est sans doute ce qui explique, en dehors de la tendance de l'auteur à laisser croire qu'il est traduit de l'allemand chaque fois qu'il parle de philosophie, l'obscurité et le manque de cohérence logique de nombreux développements utilisant un vocabulaire pseudo-technique dont les termes ne sont jamais définis et peuvent se plier dans tous les sens au hasard de digressions ou de divagations sans nombre. Surnagent quelques remarquables analyses concrètes où l'on retrouvera la veine de L'Etre et le néant, mais dont la relation à la question traitée est loin d'être manifeste : on saisit difficilement, sinon par quelques vagues associations d'idées, comment la contemplation de la file de voyageurs qui attendent un autobus peut aider à résoudre le problème de la formation des classes sociales, ou comment l'imprudence des paysans chinois provoquant des inondations par le déboisement é~lairerait de façon décisive la conception maténaliste de !'Histoire - que l'auteur orthographie Biblioteca Gino Bianco 255 toujours avec une majuscule, comme s'il s'agissait d'une personne naturelle. Pour effectuer la conjonction de l'existentialisme et du marxisme, Sartre fait intervenir certaine notion de la « rareté » qui, dans la mesure où elle pe~t être tirée a~ clair, se situe précisément aux antipodes du Capital. Les luttes sociales s'expliqueraient en dernière analyse par le fait qu'« il n'~ en a }?asassez pour ~ou!le monde », ce qui conduit droit au malthusiarusme et au darwinisme classiques, certainement pas au marxisme si l'on en~end par là la pensée de Marx selon laquelle, au point de départ des antagonismes sociaux, il y a toujours formation d'un surproduit allant au-delà de ce qui est nécessaire à la subsistance du travailleur_et_de sa famille. D'autre part, comme l'existentialisme, fondé sur la notion de liberté humaine, est franchement incompatible avec un monisme matérialiste, Sartre est amené à rejoindre l' «hérésie » bien connue d'un Lukacs, avec qui il a eu cependant maille à partir lorsque ce dernier, se trouvant en service commandé, après avoir renié _sa propre doctrine devait en vilipender toute trace chez les autres. Ces obscures batailles dans un tunnel philosophique et politique ne peuvent mener à rien en ce qui concerne les problèmes de notre temps, surtout pas à la fondation des sciences humaines comme c'est l'ambition de l'auteur. Il s'agit d' « idéologie » au pire sens du mot, ce qui ne peut qu'accroître la confusion intellectuelle dont souffrent beaucoup de ceux qui font métier de penser lorsqu'ils croient pouvoir aborder par la seule voie de l'analyse des idées les problèmes qui sont d'une autre sorte. Si quelques passages demeurent significatifs, c'est indirectement, dans la mesure même où le lecteur est amené à la conclusion que le bolchévisme léniniste aurait pu avoir un autre fondement philosophique que le marxisme classique. A la lutte des classes, qu'il considère comme des formations statiques incapables d'autodépassement, Sartre substitue explicitement la lutte des « groupes » en tant que formations définies par leur projet volontaire. Luc GUÉRIN. Mémorial Jean Texcier, un homme · libre. 1888-1957. Paris 1960, Éd. Albin Michel, 322 pp. DESAMISFIDÈLESont recueilli dans ce mémorial, en les mêlant de quelques notes bibliographiques, des chroniques et des dessins d'un militant socialiste épris de littérature et d'art qui fut aussi, sous l'occupation allemande de 1940 à 1944, un « résistant » courageux, le premier en date des auteurs de la littérature clandestine pendant ces années sinistres.

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