Le Contrat Social - anno IV - n. 4 - luglio 1960

2S4 à Fichte que Marx, toujours dans les Notes sur Feuerbach, admet que le côté «pratique» a été beaucoup plus développé par l'idéalisme classique allemand que par le matérialisme français. Quel que soit le vocabulaire employé, on conçoit alors beaucoup mieux, et même sans passer par l'intermédiaire de Hegel dont il n'est pas directement question dans les Notes, comment a pu s'opérer le renversement d'un idéalisme pratique en matérialisme par substitution de l'exigence des besoins matériels à celle des besoins spirituels, mais en conservant toujours le primat de l'exigence sur le fait. La filiation du matérialisme «praxique » de Marx à partir de la philosophie classique allemande devient alors plus claire. En un certain sens, en admettant toujours le primat du « il faut » sur le « cela est », même lorsqu'il opposait les luttes matérielles des hommes aux logomachies hégéliennes, Marx serait demeuré « idéaliste », et même plus idéaliste que Hegel qui critiquait l'opposition du devoir-être et de l'être. Nous pensons que ce sens est défini d'une manière particulièrement claire par M. Meynier et nous pensons aussi avec lui qu'il se trouve au fond de plusieurs attitudes contemporaines qui n'ont avec le marxisme que des rapports éloignés ou indirects, ou simplement des affinités. Si Marx admet la critique hégélienne du Sollen fichtéen et kantien, c'est parce qu'au lieu d'envisager une « tâche infinie », il croit au triomphe final de l' « exigence » humaine sur la réalité effective de son insertion dans la nature. Tel paraît être le secret de ce qu'on a appelé l'optimisme marxiste, au-delà duquel - toujours dans la ligne de l' « idéalisme » selon M. Meynier - ne peut surgir qu'une sorte de nihilisme schizophrénique niant de parti pris la réalité par désespoir de ne pouvoir en triompher. Dans une perspective théologique, la subordination de l'être à l'exigence est une évidence parce que l'auteur de l'exigence est le Tout-Puissant, en dehors duquel par définition rien n'existe. Mais peut-il en être de même lorsqu'il s'agit d'une exigence humaine? La para-théologie marxiste d'inspiration feuerbachienne ~boutit en fait à mettre l'Homme (entité collective et non individuelle) à la place de Dieu en lui donnant le pouvoir de plier souverainement la réalité à ses aspirations, de renverser la relation de subordination qui l'unissait primitivement à la nature, parce qu'au fond il ne doit pas y avoir d'être donné qui par la praxis matérielle humaine ne puisse être transformé. On voit, ainsi, bon gré, mal gré, à partir de cet idéalisme pratique à contenu matérialiste, se . · reformer l'idéalisme gnoséologique ou idéalisme de la théorie de la connaissance. En effet, suivant la formule que ne cessent de répéter ceux qui se disent marxistes, « il n'y a pas de connaissance en dehors de l'action », ce qui revient à dire que l'être donné n'existe pas comme simple objet Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL d'élucidation. Pour Engels, trahi par son exemple même, la preuve de l'existence du pudding réside en effet en ceci qu'on le mange, ce qui revient à constater qu'on le fait disparaître. Le matérialisme entendu en ce sens finit pas resti:.. tuer à la « matière » dont il traite sa signification initiale de « matière première» entjèrement informe par ell~-même, destinée à être façonnée en tous sens par le démiurge humain et n'ayant finalement pas de réalité propre. M. Meynier analyse fort bien l'illusion, de source technicienne, selon laquelle, à partir de la possibilité de « tour- • ner » certains déterminismes en en faisant jouer d'autres, on finit par croire à la possibilité de triompher à la fois de tous les déterminismes et de substituer ainsi vraiment, selonla formule~d'Engels, " au règne de la nécessité celui d'une entière liberté. Ainsi se trouve finalement détruite l'antique idée de « nature » à laquelle Bacon croyait encore lors·qu'il déclarait que l'homme ne peut commander à la nature qu'à condition de lui obéir d'abord. L'auteur de cet essai a mis en lumière d'une manière originale un aspect important de la pensée philosophique de Marx et d'Engels, précisément celui qui explique la séduction qu'exerce aujourd'hui cette pensée sur nombre d'esprits, au demeurant assez peu soucieux des analyses économiques du Capital. Mais nous ne pouvons suivre M. Meynier jusqu'au bout. Lorsqu'il en vient à considérer la partie scientifique de l'œuvre de Marx en économie politique (pp. 62-65), il tombe dans le contresens radical en supposant que la théorie de la valeur d'échange fondée sur le travail, qui a son origine chez les économistes « bourgeois », procède d'une « exigence » philosophique comme celles qu'il a analysées. Ce qui prouve le contraire, c'est que Marx et Engels croyaient que la loi de la valeur · deviendrait caduque dans une économie autre que celle du capitalisme. Là réside sans doute leur illusion, exactement inverse de celle que M. Meynier voudrait discuter : c'est l' «exigence» qui fait supposer que la loi de la valeur est appelée à disparaître, mais ce n'est pas l'exigence qui a conduit à poser cette loi, conçue comme une hypothèse scientifique en vue d'expliquer le fonctionnement de l'économie capitaliste. Il y a bien une métaphysique marxiste, à laquelle Marx lui-même n'attachait plus guère d'importance, 'et qu'Engels dans l' Anti-Dühring s'est attaché assez maladroitement à régénérer. Mais, · contrairement à ce que l'on tend à croire aujourd'hui, le «marxisme», si l'on entend par là l'œuvre des fondateurs, ne se réduit pas à un système de métaphysique destiné à fonder une conspiration : c'est aussi, comme le darwinisme · par exemple, un des monuments scientifiques du siècle dernier. Et si l'on entreprend aujourd'hui de le juger et de le critiquer sous cet aspect, ce doit être exclusivement en étudiant la relation des hypothèses avec les faits dont Marx, sinon

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