Le Contrat Social - anno IV - n. 4 - luglio 1960

252 places, est coupé du prolétariat des chômeurs qui, de son côté, a perdu toute possibilité de se montrer indispensable au fonctionnement de la société. Après la défaite de la classe ouvrière allemande qui confirme ces craintes vient l'aventure espagnole : quelques fragments du journal de Simone engagée dans les milices anarcho-syndicalistes nous sont conservés. Ils se terminent sur une note sombre parce que l'évidence montre qu'il n'y avait pas lieu d'idéaliser ceux qui combattent pour« la bonne cause», capables, hors des nécessités du combat, des mêmes cruautés que celles qui sont reprochées à leurs adversaires. Simone va jusqu'à l'écrire à Bernanos. Militairement engagée, elle refuse de condamner purement et simplement la non-intervention officielle pourvu qu'on l'assortisse d'une renonciation sincère au principe de la guerre révolutionnaire. Elle paraît dès lors incliner au pacifisme et, dans une controverse au Comité des intellectuels, se situer du côté de ceux qui sont « plus pacifistes qu'antifascistes ». Mais on aurait tort de croire que son pacifisme est un pacifisme intégral inspiré par le moralisme intempestif d'une «petite nature » écœurée par ce qu'elle a pu observer en Espagne : son attitude lorsque la seconde guerre mondiale sera engagée montrera le contraire. Elle confond si peu la politique et la morale qu'elle voit dans cette distinction la raison de préférer Machiavel à Marx. La condamnation de la guerre révolutionnaire qui a pour elle l'autorité de Robespierre est tirée d'un motif parfaitement réaliste : si la fin ne justifie pas le moyen, c'est parce que le moyen, en l'occurrence, va contre la fin. Elle n'entraîne pas un devoir de non-résistance à l'oppression. Des écrits proprement politiques ou se réf érant à l'actualité, il conviendrait peut-être de distinguer ceux qu'on pourrait appeler « prophétiques » sans faire intervenir un sens surnaturel, mais parce qu'ils prouvent qu'au sens de Prométhée, Simone Weil voyait loin. Tels sont les textes relatifs au problème colonial composés dans un contexte historique qui appelait apparemment de tout autres préoccupations : « La tragédie de l'Afrique du nord se poursuit au milieu d'une indifférence presque complète» (p. 344). C'est écrit en 1938 et pour cette seule raison de date devrait forcer l'admiration. Mais le contenu est à la hauteur de la situation dans le temps : Simone ne se contente pas de poser un problème, elle propose des solutions, précisément celles qu'un bon sens politique malheureusement tardif finit aujourd'hui par imposer : « Il semble qu'il n'y ait pas d'issue et pourtant il y en a une (...) C'est que la nation colonisatrice ait intérêt à émanciper progressivement ses propres colonies · et qu'elle comprenne cet intérêt. Or les conditions d'une telle solution existent. Le jeu des forces internationales fait que la France a un intérêt, un intérêt urgent, évident, à transformer ses sujets en collaborateurs... » (p. 353). Le contextemontre Biblioteca Gino Bianéo LE CONTRAT SOCIAL qu'elle songe à fermer préventivement les deux principales plaies futures : Indochine et Afrique du Nord. Ces écrits sont le modèle du pouvoir d'une pensée non engagée, mais lucidement appliquée, une sorte de regard d'aigle. · AIMÉPATRI. Décolonisation au XVIIIe siècle • AIMÉCÉSAIRE: Toussaint Louverture, la Révolution française et le problème colonial. Paris 1960, ,, Club français du livre, 289 pp. POÈTEET :f:IOMMPEOLITIQUE,Aimé Césaire s'exprime en formules bien frappées dans le style de Victor Hugo : Telle était la société coloniale : mieux qu'une hiérarchie, une ontologie : en haut, le blanc - l'être au sens plein du terme, - en bas, le nègre, sans personnalité juridique, un meuble, une chose, autant dire le rien ; mais entre ce tout et ce rien, un redoutable entredeux, le mulâtre, l'homme de couleur libre. Il ne s'agit pas seulement d'un récit centré autour de la figure du héros mais d'un essai d'explication des événements qui ont amené la constitution de la première nation noire au sens moderne de «nation». Toussaint Louverture, qui n'a pas mené Saint-Domingue jusqu'à l'indépendance - œuvre de Dessalines, - est un «personnage de transition». Mais son rôle qu'il est, paraît-il, de mode de déprécier aujourd'hui chez les Haïtiens, demeure essentiel, au jugement de l'auteur. Ce fut en tout cas un personnage d'une souplesse tactique extraordinaire que le poète-historien n'hésite pas à comparer sans cesse à celle de Lénine, bien que son héros ne fût guidé, par aucun principe ou préjugé doctrinal, ce qui devrait fixer les limites de la comparaison. Lorsque Toussaint, que l'on qualifie volontiers de « jacobin noir », apparaît épisodiquement sous la figure d'un sombre défenseur du trône et de l'autel, allié de Sa Majesté Très Catholique d'Espagne, pour emporter contre la Convention l'abolition de l'esclavage, cette attitude est à la fois comique et admirable. Césaice insiste avec raison sur le fait ~ue la révolution dominicaine ne fut pas un srmple prolongement de la Révolution française, qui en a été simplement l'occasion. Son analyse très précise des attitudes politiques métropolitaines montre que, malgré le mot fameux de Robespierre sur les colonies et les principes, rares étaient ceux . qui admettaient a priori que ces principes pussent être articles d'exportation. L'incorruptible luimême, soutenant les mulâtres libres dans leur revendication d'égalité des droits, faisait valoir qu'ainsi on éviterait qu'ils ne s'allient avec les

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