Le Contrat Social - anno IV - n. 4 - luglio 1960

248 immédiatement mobilisables. Cette constatation pratique semble bien confirmer qu'au-delà de certaines des constructions schématiques de la théorie de la guerre révolutionnaire, qu'audelà des mythes qu'elle peut véhiculer et du dogmatisme dans lequel parfois elle s'enferme, c'est à quelques-unes des réalités essentielles de la vie politique de la seconde moîtié du xxe siècle que correspondent l'élaboration et la diffusion de tels concepts doctrinaux. RECONNUES, analysées et finalement acceptées, les réalités de la guerre subversive ne vont pas cependant sans poser de très délicats problèmes d'ordre politique, d'ordre juridique, aux sociétés politiques contemporaines, et plus particulièrement aux sociétés politiques de type libéral. Il convient tout d'abord de souligner qu'elles conduisent inévitablement à une révision profonde des postulats traditionnels du civisme militaire. La guerre subversive apparaît en effet comme une sorte de complexe politico-militaire où les deux éléments sont si intimement liés qu'il semble à peu près impossible de les dissocier et de les isoler. Si l'on se place, même, dans le seul cadre des formes défensives du combat subversif, il apparaîtra donc comme évident que les opérations militaires n'ont de sens que dans la mesure où elles s'intègrent dans une action très large de « reprise en main » de la population. Ce qui signifie, en d'autres termes, que seule, en fin de compte, la destruction de l'infrastructure politique qui sert de support à la rébellion peut permettre d'obtenir un succèsmilitairement décisif. Ce qui suppose que l'on s'efforce d'abord de substituer à l'appareil· rebelle ou révolutionnaire d'encadrement des masses un autre système d'encadrement. C'est ainsi que les nécessités de la lutte contre la rébellion ont amené l'instauration en Algérie, au cours de ces dernières années, d'un nouveau quadrillage administratif beaucoup plus dense que le précédent ; elles ont également amené l'armée à multiplier les associations et les groupements placés sous son contrôle. La reconquête des masses suppose d'autre part une immense tâche d'action économique et sociale : il s'agit de lutter contre la misère, de s'efforcer d'atténuer les tensions existant entre les différents groupes sociaux, bref de faire en sorte que là où règne la force armée, il y ait finalement plus Biblioteca Gino Bianco DÉBATS BT RBCHBRCHBS de justice, d'équilibre et de prospérité que là où domine la force ennemie. Le ralliement et la pacification des masses supposent enfin que l'on fournisse à celles-ci des raisons d'espérer, de croire et de combattre suffisamment puissantes pour contrebalancer les appels de la rébellion : ce sont les esprits et les cœurs qui constitue1!~l'e:ije~ essentiel de la lutte ; ce sont eux qu tl s agit avant tout de gagner et il n'est eossible ~e 1~ faire qu'en opposant une autre f~t à 1~ foi. qui anime les rebelles, une autre v1s1on d avenir à la vision d'avenir dont ils se font les interprètes. On voit par là combien serait parfaite~ent inadaptée aux nécessités de la lutte subversive, et condamnée à un échec inévitable, une armée qui ne situerait son combat que dans les perspectives traditionnelles de la seule action militaire .. proprement dite. L'action de force n'a strictement aucun sens si elle ne s'accompagne pas de la définition d'une politique et de la diffusion d'une idéologie. Il est, en fin de compte, pratiquement interdit au soldat qui accepte de jouer le jeu de « la guerre dans la foule» de rester politiquement neutre. S'obstiner à ne demeurer qu'un simple technicien du métier des armes, c'est pour lui renoncer à gagner la partie. Comme son adversaire, il •lui faut devenir un militant, se transformer en missionnaire. On comprend mieux ainsi le sens de la formule qu'aurait utilisée le général Giap, commandant eri chef des troupes du Viet-minh, au lendemain de la défaite française en Indochine : « L'armée française a été battue parce qu'elle n'a pas fait assez de politique. » On comprend mieux aussi que le simple emploi des méthodes de « pacification » ait peu à peu amené l'armée française servant en Algérie à construire de façon empirique et presque spontanée l'ensemble cohérent d'une politique algérienne. Nécessités inhérentes à la poursuite de la lutte subversive, nécessités qui peuvent cepend1nt conduire à des tensions entre les dépositaires du pouvoir civil et les représentants du pouvoir militaire : il suffit pour qu'elles éclatent qu'il y ait discordance entre la politique et l'idéologie que semblent impliquer, au regard de l'armée, les nécessités de la lutte et la politique et l'idéologie que préconise et dont se réclame, en fonction d'autres critères, le pouvoir dont dépend cette armée. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . RAOUL GIRARDET. •

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