192 On comprend donc mal le sens péjoratif conféré au terme del révisionnisme, digne p~u~ô~d'u~e acèeption élogieuse pourvu que la rev1s1~n.soit à la hauteur d'intentions révisionnistes lég1trmes. Les successeurs de Staline n'en font une injure ou' à la faveur de leur puissance matérielle combinée avec une absence complète de scrupule~, devant quoi ne se dresse aucune contrepartie à la mesure de leur propagande. LES PREMIERS RÉVISIONNISTES furent Marx et Engels qui « avaient considérablement modifié leur façon de voir au cours des années », comme dit Bernstein; on l'a prouvé surabondamment avec textes à l'appui, d'abord contre Kautsky incarnant l'orthodoxie avant d'argumenter contre Lénine qui, plus tard, l'accusa aussi de révisionnisme. A son tour, Lénine se permit de réviser le.marxisme, 1;1eserait-ce q~'en prenant le contre-pied du Manifeste communiste : « Les communistes ne forment pas un parti distinct en face des autres partis ouvriers (...) Ils n'établissent pas de principes distincts sur lesquels ils aient dessein de modeler le mouvement ouvrier (...) Enfin les communistes travailleront de toutes parts à l'union et à l'entente des r artis démocratiques de tous les pays. » A cet égard, la pratiq':e de Lénine et de,s~s.dis~iples représente à coup sur le comble du revistonmsme. Le léninisme révise à fond le marxisme en faisant de la dictature du prolétariat, dont Marx et Engels voyaient un modèle dans la Commune de Paris, la dictature d'un parti unique obéissant à l'oligarchie (Lénine dixit) de son Comité central. Le prolétariat n'a pas la parole sous un régime où, selon Staline, « le Politburo est omnipotent, il est au-dessus de tous les organes du Comité central. Et l'organe suprême, c'est le plénum, que parfois l'on oublie. Chez nous le plénum décide de tout... 2 » Non seulement il n'est pas question de dictature d'un seul parti, dans la Critiquedu programmede Gotha où Marx envisage une dictature prolétarienne transitoire entre la prise du pouvoir et l'instauration du socialisme, mais il n'y a pas place pour la terreur dans cette conception à laquelle se référait Lénine. · Le stalinisme révise de même le léninisme, sous maints rapports et notamment en proclamant la réalisation du socialisme là où se consolident un capitalisme d'État et la pire exploitation de l'homme par l'homme. D'après Marx, les travailleurs n'ont plus besoin d'État dès lors que l'exploitation du travail a cessé d'exister. Pour Lénine, l'État commence à dépérir aussi après la 2. Le mot de Lénine ·sur« l'oligarchie• du Comité central est dans la Maladie infantile du communisme (Le« gauchisme •) dont il existe plusieurs traductions françaises éditées à Paris et à Moscou depuis 1920. . Le passage de Staline se trouve dans un discours au x1ve congrès du Parti. Cf. Œuvres de Staline (en_russe), t. VII, Moscou 1947. LE CONTRAT SOCIAL conquête du pouvoir par le prolétariat (lire : par son parti) car aucun ap~arei_létatique n'a de raison d'être quand les distlncttons de classes disparaissent. Il pensait même que durant la période de transition du capitalisme au socialisme, « aucun appareil spécial de répression » ne serait nécessaire puisque l'ensemble de la population, dans la plénitude de ses droits démocratiques, formerait la- nation armée. Il suffit de comparer ces utopies à la réalité soviétique pour savoir jusqu'où peut aller le révisionnisme. Comme tant d'autres, y compris ses contradicteurs qu'il a mis à mort, Staline citait Marx ou Lénine quand il y trouvait avantage, mais revendiquait la liberté d'interprétation pour peu que son intérêt du moment l'exigeât : « Nous n'avons pas le droit d'attendre des classiques du marxisme, • antérieurs de quarante-cinq ou cinquante-cinq ans à notre temps, qu'ils aient prévu tout zigzag de l'histoire pour chaque pays dans un lointain avenir» a-t-il prononcé, cette fois avec raison, mais afin de faire prendre ses vessies staliniennes pour des lanternes marxistes-léninistes. En plusieurs circonstances, il a versé dans l'une ou l'autre variété de révisionnisme, fort de moyens policiers irrésistibles qui autorisent tous les subterfuges de terminologie. Une copieuse littérature byzantine de polémique intérieure au Parti en fournit naguère maints exemples, avant que les tueries de l' « épuration » n'y mettent le point final. En fait de révisionnisme, le culte artificiel de la personnalité répugnante de Staline a dépassé les pires appréhensions des adversaires socialistes du bolchévisme et des opposants communistes · au stalinisme. Dans le soi-disant marxismeléninisme actuel, en outre, subs.istent des traits hérités de Staline qu'on ne saurait honorer du nom respectable de révisionnisme, entre autres un chauvinisme et un antisémitisme qui eussent donné la nausée à Marx comme à Engels et à Lénine. Mentionnons encore un militarisme monstrueux, sans précédent, véritable insulte à toutes les traditions et à tous les principes dont le marxisme était la synthèse. Mais il faut revenir au révisionnisme en prêtant quelque attention au mensonge du socialisme soviétique, qui sunrit encore à Staline. * ,,.,,. LA 178 CONFÉRENCE du _Parti en _1932 et le XVIIIe Congrès en 1939 ont décidé, l'une que- les bases du socialisme, l'autre· que le socialisme même, étaient des faits accomplis. Chose curieuse, Molotov, bras droit ou bras gauche de Staline, rapporteur à ces d~ux assemblées, ne s'en était pas rendu compte et il fallut le rappeler à l'ordre en 1955 pour lui montrer l'évidence 3 • Or Lénine a dit et répété après Marx 3. Cf. lettre de contrition de Molotov dans Kommounüt, Moscou, oct. 1955. Et notre Contrat social, janv. 1960, p. 4, en note.
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