R. GIRARDET c'est dans les perspectives d'une interprétation générale de la situation internationale que la doctrine de la guerre révolutionnaire conduit à définir la totalité des missions militaires de la France. C'est sous l'aspect d'une véritable croisade qu'elle tend, implicitement ou explicitement, à situer et à justifier l'action de l'armée. * ,,. ,,. IL NE NOUS APPARTIENT PAS ici de montrer comment la première conséquence de la généralisation du concept de la guerre révolutionnaire fut de lancer une grande partie des cadres de la jeune armée dans la poursuite inquiète · et souvent incertaine d'une sorte de métaphysique de la guerre politique. Pas davantage il ne nous appartient de nous interroger sur les formes et sur les résultats de cette recherche fiévreuse qui allait désormais tenir une place si importante dans les préocupations de la société militaire française - la recherche d'une « idéologie », d'un système total de valeurs susceptible d'être efficacement opposé au système total de valeurs présenté par le marxisme-léninisme. C'est sur certaines des données fondamentales de la doctrine militaire de la guerre révolutionnaire que nous voudrions seulement présenter quelques observations et proposer quelques éléments de discussion. En fait, à l'égard de cette doctrine, trois critiques principales nous semblent pouvoir être très objectivement formulées. La première, et peut-être la plus importante, porte sur l'assimilation, si souvent faite dans la . littérature militaire consacrée à ces problèmes, entre les méthodes et les buts de la guerre révolutionnaire. De la constatation de la similitude des techniques utilisées par les mouvements subversifs dans les parties les plus diverses du monde contemporain ( de l'Indochine à l'Afrique du Nord en passant par la Grèce, la Malaisie et Cuba), il semble que l'on ait assez généralement conclu à l'identité des desseins poursuivis par ces mouvements. D'où la conception de l'unité absolue et totale du phénomène de la guerre révolutionnaire, unité qui se manifesterait dans ses formes aussi bien que dans ses objectifs. Or c'est cette réduction à l'unité qu'il semble que l'on puisse juger à bon droit schématique et contestable. Toute guerre de type subversif se trouvet-elle donc obligatoirement liée à la diffusion de l'idéologie et à l'action des partis communistes? On ne saurait pourtant oublier que c'est dans Clausewitz, qui écrivait au début du x1xe siècle, que se trouvent ébauchés les premiers éléments d'une stratégie moderne de la guerre subversive. On - ne saurait oublier que la définition des méthodes essentielles de la lutte subversive occupait une place importante dans la doctrine de guerre de l'Allemagne nationale-socialiste. On ne saurait oublier enfin que le combat mené au cours du second conflit mondial contre l' occupation allemande par les « résistants » de toutes Biblioteca Gino Bianco· 245 opinions politiques a présenté tous les caractères principaux de ce genre de guerre. Aujourd'hui même il est fort possible d'imaginer une guerre subversive engagée et menée au nom des principes d'une idéologie purement nationale, au nom de ceux du libéralisme politique ou même au nom de l'anticommunisme. Il conviendrait donc, et c'est ce que tend à faire aujourd'hui la terminologie officielle de l'enseignement militaire français, de dissocier très clairement deux notions : la notion générale de guerre subversive et la notion plus particulière de guerre révolutionnaire. La guerre subversive se trouve réglementairement définie en ces termes: «Guerre menée à l'intérieur d'un territoire contre l'autorité politique en place par une partie des habitants de ce territoire, aidés ou renforcés ou non de l'extérieur, dans le dessein d'enlever à cette autorité le contrôle de ce territoire. » La guerre révolutionnaire, d'autre part, pourrait être définie comme la conception marxisteléniniste de la guerre subversive et l'application des méthodes de cette guerre à la stratégie globale du communisme international. Il est tout à fait regrettable que cette distinction terminologique essentielle n'ait pas été faite plus tôt et ne soit pas aujourd'hui d'un usage plus courant : elle aurait évité et éviterait encore dans l'abondante littérature de vulgarisation journalistique consacrée à ces problèmes bien des confusions, bien des équivoques et bien des systématisations arbitraires. Il semble, d'autre part, que l'on soit en droit de trouver excessive l'importance que paraissent accorder, dans leurs synthèses doctrinales, la plupart des théoriciens militaires français aux techniques de la guerre subversive, à tout ce que l'on pourrait appeler l'aspect méthodologique de la guerre subversive. Soucieux avant tout d'inventorier et d'analyser les techniques de la subversion, ils paraissent souvent, en effet, ne prêter qu'une attention très secondaire à la nature particulière du terrain sur lequel s'exercent ces techniques, c'est-à-dire en somme au contexte intérieur, politique, sociologique ou économique dans lequel la lutte subversive est appelée à se développer. «Au début, il .n'y a rien», écrit par exemple, évoquant le cas indochinois, l'un de ces théoriciens militaires. Or il est ·bien évident que ce n'est pas sans danger que l'on peut ainsi passer sous silence les conflits intérieurs inhérents à toute société de type colonial. On risque d'oublier dans ces perspectives que, quelle que soit l'efficacité de certaines méthodes modernes de« manipulation » des foules, une idéologie « subversive » ne peut se développer à l'intérieur d'une collectivité quelconque que lorsque cette idéologie semble, à tort ou à raison, répondre à certains problèmes posés par l'état présent de cette société. Imagine-t-on actuellement les chances que pourrait avoir en Grande- Bretagne ou en Suisse une entreprise de subversion se réclamant de l'idéologie communiste ? En fait, seule une idéologie appa-
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==