Le Contrat Social - anno IV - n. 4 - luglio 1960

24-t carrière militaire n'a été aussi formatrice, parce qu'aucune ne nous a menés à ce point à repenser les problèmes, à faire une croix sur les formules qu'on nous avait données, à découvrir chaque fois des idées et des solutions nouvelles. L'armée combattant en Indochine eut en effet le tragique sentiment de se trouver en présence d'un adversaire inconnu et qu 'elle se trouvait incapable de vaincre, quelle que soit son indiscutable supériorité matérielle, parce que cet adversaire avait délibérément situé la lutte sur un plan où elle était impuissante à l'atteindre. Ce plan était celui de « la guerre dans la foule», selon l'expression, largement popularisée depuis lors, de Mao Tsé-toung. Il faut entendre par là que l'objectif essentiel de la lutte est constitué non plus par la prise de possession d'un terrain ou la domination d'un champ de bataille, mais par la conquête des masses. Est finalement vainqueur celui qui aura su s'emparer moralement des populations et mobiliser matériellement à son profit la totalité de leurs énergies. Pour obtenir ce résultat, l'adversaire mettait en œuvre en Indochine des techniques très rigousement définies et qui se montrèrent d'une parfaite efficacité : « action psychologique » scientifiquement menée, terrorisme systématique, dislocation délibérée des structures sociales existantes, établissement de « hiérarchies parallèles » se substituant peu à peu aux hiérarchies de l'ordre légal et enserrant les populations dans un réseau aux mailles de plus en plus denses. L'armée française était contrainte de constater que, dans une lutte ainsi conduite, l'action militaire proprement dite devait céder le pas à certaine forme de propagande, à la recherche et à l'exploitation du renseignement aussi bien politique qu' opérationnel, à l'action policière, au contact avec les populations, à l'action sociale et économique. Elle découvrait que cette guerre exigeait de ses combattants qu'ils fussent non seulement des techniciens de l'emploi de la force des armes, mais aussi, et peut-être surtout des agitateurs politiques, des syndicalistes, des chefs de partisans. Les qualités et les méthodes d'action du militant se montraient finalement plus efficaces,pour obtenir la victoire finale, que les qualités et les méthodes d'action du soldat. Ces leçons tactiques de la guerre d'Indochine, les théoriciens de la guerre révolutionnaire ont été tout naturellement amenés à les replacer dans les perspectives générales de l'histoire contemporaine et de l'évolution des conflits depuis 1945. Il leur est apparu comme évident que les batailles de type classique ne sont plus aujourd'hui l'unique moyen pour une puissance de faire passer des territoires, voire un État tout entier, sous son contrôle : les mouvements intérieurs, les coups d'État, l'action de certains partis politiques se montrent souvent des instruments plus efficacesde domination que l'intervention directe des bombardiers et des divisions blindées. Dès lors, la défense d'un territoire n'apparaît plus seulement Biblioteca Gino Bianco DÉBATS ET RBCHBRCHBS comme la défense des frontières de ce temtoire contre les armées d'un adversaire qui, peut-être, ne tentera pas de les forcer. Elle réside presque essentiellement dans la lutte contre les forces politiques et idéologiques de subversion interne. Pour beaucoup même, l'arme nucléaire n'apparaît plus que comme un instrument d'intimidatton destiné à protéger le libre développement d'une action révolutionnaire : Nous sommes de nombreux officiers à penser que nous n'aurons peut-être pas de guerre atomique, que nous n'aurons peut-être pas de guerre conventionnelle, . mais des guerres révolutionnaires, hélas! nous en aurons beaucoup, nous en avons· déjà, nous ne faisons que cela... Ainsi s'exprime un des principaux interprètes de la nouvelle doctrine. Allant plus loin, certains se déclarent même convaincus que c'est sous cette forme de guerre que se décidera, dans les années à venir, le destin même du monde. D'où la conception d'une stratégie globale de la guerre révolutionnaire qu'on trouve exprimée chez la plupart des auteurs militaires français contemporains. De l'exemple indochinois, ils ont tiré la conviction de l'unité fondamentale de doctrine et de direction du monde communiste. Dans la lecture des théoriciens militaires soviétiques et chinois, ils ont puisé la certitude des prétentions à l'extension universelle de l'idéologie du marxisme-léninisme. Selon eux, le monde occidental doit faire face à une agression permanente multiforme, totale et globale. « La troisième guerre mondiale, répètent-ils, est commencée » - et la lutte se livre à travers tous les continents et à l'intérieur même de chaque État. Dans cette lutte, la défense du limes européen n'a finalement qu'une importance très secondaire. L'adversaire le tournera soit par une action de désagrégation interne, soit en conquérant à son idéologie les pays asiatiques et africains. Ce n'est pas contre la menace virtuelle d'une attaque frontale des divisions soviétiques que les démocraties libérales doivent avant tout se protéger, mais contre la force d'expansion et de pénétration d'une idéologiepolitique et d'un messianismerévolutionnair-!. Dominée par la conception d'une guerre révolutionnaire permanente et universelle, visant à la conquête idéologique du globe, la nouvelle pensée militaire tendra donc invinciblement à faire entrer dans ce cadre doctrinal l'interprétation de tous les conflits et de toutes les tensions du monde contemporain. La rébellion algérienne notamment est appréhendée et présentée par elle comme wie nouvelle phase, phase qu'elle estime d'ailleurs décisive, de la lutte communiste pour la domination du globe. Le combat contre le F.L.N. ne se légitime pas seulement, selon elle, par la défense des droits de la souveraineté française. Elle se légitime aussi au nom des impératifs stratégiques qui commandent le déroulement du « troisième conflit mondial ». En fait, •

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==